Avant même de déverrouiller les portières, le scénario de ce match semblait écrit. De fait, face à une Civic en pleine possession de ses moyens, une Ford Focus plus jeune et une Suzuki SX4 sans complexe n'avaient pas la moindre chance.

Cependant, l'avance de Honda s'amenuise, et la concurrence se prend à rêver de jouer les premiers rôles dans un segment qui draine environ 40% des ventes au Québec.

La Civic a longtemps été le porte-drapeau de l'industrie automobile japonaise en Amérique. Comme la Toyota Corolla, elle a séduit par son style élégant, original, qui a permis à Honda d'asseoir sa réputation dans le domaine des berlines compactes. Mais la Civic s'est banalisée au fil des générations. Et la dernière ne change rien à cet égard: soucieuse de plaire au plus grand nombre, la Civic nord-américaine affiche un conservatisme qui contraste énormément avec celle vendue sur le Vieux Continent.

Un constat qui s'applique en partie à la nouvelle Focus de Ford, qui renouvelle sa garde-robe européenne au profit de carrosseries classiques (coupé et berline tricorps), au style empesé de fioritures d'un goût douteux. Les coffres sont vides et la technique du constructeur américain s'en ressent, puisque la Focus traîne toujours un châssis vieux d'une dizaine d'années. En lieu et place, on préfère argumenter sur la création du révolutionnaire système Sync, né d'une association avec Microsoft, et imposer une compacte qui apparaît à première vue largement perfectible.

Chez Suzuki, on est en mode conquête et ça se voit. Plutôt spécialiste des midgets, une catégorie de minivoitures qui fait fureur au Japon, et du 4X4, Suzuki tente de nouveau de percer le segment des compactes avec la berline SX4. On pourra ironiser sur le fait que ce qui est nouveau pour Suzuki ne l'est guère pour les autres; n'empêche que cette voiture, qui tient tout autant de la Fiat Sedici italienne, mérite beaucoup mieux qu'un examen superficiel.

Forces en présence et vie à bord

Les comparaisons sont toujours délicates, tant la variété et l'abondance des équipements brouillent les cartes. La Civic et la Focus se sont présentées sur leur 31; sellerie de cuir, baquets avant chauffants, chaîne stéréo sophistiquée, tout y était ou presque. Par contre, Suzuki prive la SX4 de plusieurs accessoires "de luxe". Cela dit, mentionnons que nos trois protagonistes s'affichent dans la même fourchette de prix.

La reine des compactes au Canada ouvre ses portes sur un habitacle au design renversant, avec un tableau de bord qui superpose deux niveaux d'affichage d'informations. Au-delà de l'effet saisissant, la simplicité en reste contestable, à l'instar de la lisibilité de certains instruments. En outre, la position de conduite idéale n'est pas toujours aisée à trouver et la visibilité est loin d'être parfaite. À ce chapitre, la SX4 n'est guère mieux, puisque la visibilité est désagréablement entravée, à l'avant et sur les côtés, par l'épaisseur des doubles montants frontaux. En revanche, grâce au principe des assises de siège hautes, la Suzuki offre une habitabilité record, grâce à un toit haut de forme. On s'étonnera aussi de la contenance du coffre, tout en regrettant cependant l'impossibilité d'escamoter les dossiers de la banquette. L'habitacle du SX4 est d'une grande sobriété. Les plastiques sont de qualité ordinaire; et face aux trois cadrans ronds de la tristounette planche de bord aux tons fades et métalliques, on déprime un peu.

Nombreux rangements et vide-poches, une boîte à gants correcte, belle lisibilité des instruments, position de conduite facile à ajuster; la Focus se montre encore spacieuse, malgré ses dimensions extérieures. À l'arrière surtout, où elle présente des cotes d'habitabilité supérieures à celles de ses deux rivales (même si le plancher complètement plat de la Civic laisse croire qu'elle offre plus d'espace encore). En outre, la banquette se rabat et augmente la capacité du coffre, hélas encombrée par le caisson de graves garé contre l'une des parois. Seule déception réelle en usage prolongé: les dossiers de sièges avant. Celui du conducteur manque de calage latéral; ceux des passagers, de soutien lombaire. À l'intérieur, la qualité des assemblages et des plastiques utilisés se situe dans une bonne moyenne. Le toucher est sec, la planche n'est pas garnie de mousse, et les couleurs laissent une grande part au noir profond.

Au terme de la première étape de ce match, la Focus occupe le premier rang, mais ses rivales la suivent de près.

Performances routières

La signature du SX4? C'est sa transmission 4X4 intelligente à trois modes et sélection électrique. Un simple commutateur permet au conducteur de passer du mode de deux à quatre roues motrices. C'est vrai pour la version à hayon, mais pas pour la berline, uniquement offerte en configuration 4X2. Devons-nous alors parler de SX... 2? Toujours est-il qu'hormis le rouage intégral, la berline est en tout point identique à la SX4 à hayon commercialisée depuis un peu plus d'un an.

Le moteur de la SX4, avec ses 143 chevaux attelés à une transmission automatique qui lui coupe les jambes, reste le plus percutant, mêlant une vigueur parfois brutale à un niveau sonore élevé. Il faut constater que la plupart des nouvelles Suzuki n'ont pas encore tout à fait rompu avec les défauts traditionnels de la marque. Les moteurs à essence sont souvent trop mous, assez gourmands et passablement bruyants. Chez Honda, ils chantent. Celui de la Civic surtout qui, malgré sa cylindrée moindre, parvient à éclipser la concurrence au chapitre des accélérations et des reprises, et ce tout en consommant avec plus de modération les 50 litres d'essence de son réservoir. Il faut reconnaître que la Civic fait appel à une boîte automatique à cinq rapports fort bien adaptée à la courbe de puissance du moteur.

Et le moteur de la Focus? Moins rugueux que celui de la Suzuki, mais pas aussi enjoué que celui de la Civic, ce quatre cylindres se révèle plus économique à la pompe, mais se fait un peu trop entendre. Plein de bonne volonté en accélération, un peu moins en reprises, il s'acquitte de façon satisfaisante de sa tâche. Silencieux en palier, grondant lorsqu'on lui en demande beaucoup, on ne peut pas dire qu'il fait des éclats; mais sa consommation reste toujours dans des limites très raisonnables. Bref, il donne une bonne vivacité à cette voiture qui, plus silencieuse, pourrait être qualifiée de très confortable. Dans cette optique, pour le confort et la tenue de route, on atteint ici un compromis acceptable. La qualité des suspensions permet de se tirer des mauvais pas, là où une Civic pardonne peu et une SX4 pas du tout.

L'explication tient ici sans doute à l'équipement pneumatique disparate de nos voitures d'essai, qui complique beaucoup l'analyse. La SX4 repose sur d'immenses roues de 17 pouces et peine à s'en tirer face aux 16 pouces des deux autres. Ce sont les plus confortables dans l'absolu, car elles offrent notamment une filtration des petites oscillations que les grandes roues ne digèrent pas.

Au chapitre de la sécurité active, la Focus fait des ronds de poussière autour de ses deux concurrentes. Elle est en effet la seule à proposer un témoin électronique de la pression des pneus. La seule également à pouvoir compter sur un antipatinage, toujours précieux même si la puissance des mécaniques demeure somme toute assez modeste. Hélas, le freinage mixte disques/tambours assisté par ABS ne se montre pas à la hauteur. Les distances d'arrêt sont longues. Très longues. Trop longues. La SX4 fait mieux, même si elle ne parvient pas à ravir la première place à la Civic à ce chapitre.

Le budget

Au risque d'agacer les nouvelles venues, la Civic, pourtant peu expressive depuis sa refonte, démontre, avec une longueur d'avance, sa remarquable homogénéité. Difficile de faire mieux dans le savant dosage de ces ingrédients qui font une très bonne voiture. Sa valeur de revente est la plus élevée, le choix de modèles est vaste, sa consommation raisonnable (ses émissions aussi) et son agrément de conduite demeure un cran au-dessus de la norme dans cette catégorie.

Cela dit, les deux autres ne déméritent pas et se situent tout près au classement. Apparaît ici le savoir-faire des constructeurs pour cerner précisément les attentes bien connues de la clientèle. Ford joue l'audace technologique du système Sync pour masquer la timide mise à niveau technique de sa compacte qui, à défaut d'être une référence dans le segment des compactes actuelles, demeure supérieure à bien des rivales sud-coréennes et américaines. Son prix est juste, son réseau de concessionnaires solide et sa garantie généreuse.

Très originale à la naissance, la Suzuki paraît bien classique comparée à la Civic avec, elle aussi, une filtration au sol très perfectible. Sa consommation est aussi nettement plus élevée que celle des autres, mesurée sur le même parcours d'essai; et plusieurs fautes (dossier de la banquette fixe, insonorisation insuffisante) lui ont coûté cher au moment d'additionner les points recueillis auprès de nos essayeurs. Bref, on joue plus sur les nuances que sur les différences; le style ou une proposition plus avantageuse pourraient donc déterminer votre choix.

L'auteur tient à remercier Jean-François Guay et Jean Pendleton pour leur collaboration à ce match.