Dans les rues des Basses-Laurentides, la Zenn roule en silence et passe devant les pompes à essence sans jamais s'arrêter. Propre, la Zenn n'émet pas le moindre gaz d'échappement.

À première vue, rien ne la distingue vraiment de ses «soeurs» à moteur thermique, si ce n'est que l'ouverture du réservoir d'essence est bouchée et qu'un triangle rouge lui tatoue les fesses. Sa carrosserie semble provenir d'un atelier en kit en raison de ses panneaux moulés en résine de synthèse. Dès lors, on a l'impression d'avoir affaire à une voiturette de golf (très) modifiée ou, plus précisément, à une sous-automobile.

Pour chasser cette impression, le producteur de la Zenn propose en option (1195$) un toit qui se découvre à la manière des défuntes Renault 5, en plus d'enrober de jantes en alliage ses minuscules pneus de 13 pouces. Trois couleurs (gris, vert ou bleu) se disputent les faveurs de l'acheteur.

Plus longue qu'une Smart, la Zenn repose sur un empattement de 2080mm, suffisant pour recevoir deux baquets et y aménager un coffre étonnamment spacieux compte tenu de la taille de l'auto. La présentation intérieure rappelle celle d'une sous-compacte des années 80, mais son bloc d'instrumentation électronique, monté en plein centre de la planche de bord (désolé, mais ici c'est une planche et non un tableau) est sans doute la seule touche un tant soit peu moderne. Quelques rangements bien sûr, mais pas l'ombre d'un coussin de sécurité gonflable.

En revanche, Zenn a bien fait les choses pour effacer de notre esprit cette image un peu confuse et persistante à la fois de se retrouver aux commandes d'une automobile en kit ou, pire encore, d'une voiturette de golf. On trouve des glaces électriques (de série), une radio (une option de 295$), un climatiseur (une autre option, mais de 2200$ cette fois) et un levier de vitesses classique.

Il suffit de mettre la clef dans le contact, de la tourner et de sélectionner le rapport approprié (R ou D) et voilà, c'est parti. Si l'on devait faire entrer la Zenn dans notre grille d'essai actuelle, elle ne parviendrait pas à soutenir la comparaison avec tout ce qui roule sur quatre roues au Québec.

Les suspensions sont fermes, les bruits de roulement élevés et la structure émet de nombreux craquements au passage des saignées et autres déformations de la chaussée. À cela s'ajoute une pédale de frein difficile à moduler et une direction collante et lourde, ce qui peut paraître ironique pour un véhicule destiné à un usage exclusivement urbain.

À ce florilège de déconvenues, il convient d'ajouter qu'il lui est permis de circuler uniquement sur des routes où la vitesse maximale est de 50 km/h et à la condition de ne pas s'attaquer à des pentes de plus de 15° - vous avez une boussole d'inclinaison dans votre poche? - sous peine de manquer de souffle et de s'appuyer sur le pare-chocs de la voiture qui la suit. Aussi, ajoutons la sempiternelle crainte de son acclimatation à l'hiver. Va-t-elle ou non démarrer?

En revanche, la conduite est naturellement souple: respect de l'environnement, réduction de la facture énergétique, performances amplement suffisantes pour suivre, sur le plat, le flot de la circulation en ville et mise en charge le soir vécue comme un réflexe et non une contrainte.

D'ailleurs, voilà le paradoxe de la voiture électrique. Les villes ne seront jamais fleuries de bornes de recharge. Ou alors, pas dans les années à venir. Tout acheteur d'une Zenn doit avoir accès à une prise d'alimentation électrique pour recharger son véhicule.

Reste la question de vérité: achèteriez-vous une Zenn? Sans doute pas. D'une part, d'un projet-pilote d'une durée de trois ans (qu'adviendra-t-il après?). D'autre part, ce véhicule ne rendra jamais dans sa forme actuelle les mêmes services qu'une automobile dite traditionnelle puisque sa vitesse, limitée à 40km, et son autonomie réduite ne la prédisposent pas aux escapades hors les murs de la cité. Un handicap de taille, à moins de considérer que la sauvegarde de l'environnement n'a pas de prix. Dès lors, il est fort peu probable que les consommateurs aillent jusqu'au bout de leur enthousiasme.

Un raisonnement qui peut en revanche tenir la route à l'échelle d'un gouvernement comme le nôtre, dans la logique d'une saine politique.

Si nous laissons faire les lois du marché, l'automobile électrique est condamnée. Elle ne bénéficie pas d'un siècle de recherche et d'une production de masse comme la voiture de monsieur et madame Tout-le-Monde. Il est normal que, dans un premier temps, son prix soit élevé.

Le succès de la voiture électrique auprès du public ne sera pas spontané. Il faut que l'État stimule la demande par des incitations financières. C'est son rôle, car le Québec est un terrain favorable au véhicule électrique: essence chère car lourdement taxée, énergie électrique abondante et bon marché. Sans oublier un facteur de poids, l'indépendance énergétique, d'autant plus importante pour le Québec que les pays producteurs de pétrole sont situés dans des zones politiquement fragiles.

Dans ces conditions, la lumière pourrait venir des collectivités locales ou acheteurs institutionnels: services techniques d'une municipalité, Hydro-Québec, Postes Canada, toutes institutions qui possèdent un local pour abriter, le soir venu, leur parc automobile.

Donc, à la réflexion, l'ennui, avec ce projet pilote d'une durée de trois ans, c'est qu'il renvoie aux consommateurs l'image d'une voiture électrique totalement obsolète et dont les performances rivalisent avec celle d'une voiture à essence des années 20. Incompatible avec l'idée que l'on se fait d'un moyen de transport individuel, toujours accessible, fort d'un bon rayon d'action et de performances satisfaisantes et que tout le monde peut acquérir à prix raisonnable.

En revanche, force est de reconnaître qu'il s'agit d'un premier essai et que Zenn travaille à l'élaboration de piles beaucoup plus performantes. En effet, depuis le mois de mars dernier, l'entreprise travaille à l'intégration d'une nouvelle technologie pour permettre à la Zenn d'atteindre une vitesse de pointe de 125km/h, une autonomie de quelque 400km et la possibilité de la recharger en moins de cinq minutes. Voilà qui est susceptible de vous inciter à ne pas débrancher tout de suite.