Quiconque s'attarde à la pompe pour faire le plein l'aura remarqué: dans la campagne d'images que livrent les pétrolières pour ne pas avoir l'air de sociétés avides de profits gigantesques, au détriment de l'environnement et des consommateurs, le gouvernement est leur cible préférée.

La taxe sur le carburant, arguent-elles, est la principale cause du prix élevé de l'essence au pays, sous-entendant qu'en la réduisant, on en aurait plus pour son argent. Est-ce vraiment le cas?

Il n'y pas que les pétrolières canadiennes qui proposent une telle mesure. Deux des trois candidats à la présidentielle américaine, le républicain John Mccain et la démocrate Hillary Clinton, sont d'accord sur cette question: éliminer la taxe sur le carburant durant une partie de l'été. Pendant la période la plus achalandée à la pompe, cela permettrait de réduire le fardeau des consommateurs américains, des vacanciers qui aiment se déplacer en automobile ou en véhicule récréatif.

Aux États-Unis, la taxe sur le carburant est de 18,4 cents le gallon pour l'essence et de 24,4 cents sur le diesel. On est loin des 40,7 cents de taxe perçus sur chaque litre d'essence vendu à Montréal, la semaine dernière! N'empêche. Une taxe est une taxe, et c'est plus rapide pour un gouvernement de l'éliminer que de négocier une hausse de la production des raffineries un peu partout sur son territoire. C'est en tout cas la théorie avancée par McCain et Clinton pour justifier leur proposition.

Plus cher sans taxe

Car la hausse de la production de carburant permettrait de stabiliser, voire même de réduire légèrement le prix à la pompe. L'inverse est aussi vrai: à production égale, si les Américains décident de consommer davantage de carburant, ça fera grimper encore plus rapidement son prix de détail.

Or, en éliminant la taxe sur le carburant, c'est exactement ce qui pourrait se produire: les consommateurs achèteraient davantage d'essence et de diesel, ce qui hausserait la demande, l'offre demeurant stable, il s'ensuivrait donc une hausse du prix à la pompe d'un montant plus ou moins égal à la réduction de taxe. Autrement dit, éliminer la taxe ne ferait que transférer ce montant des poches du gouvernement à celles des pétrolières.

Mme Clinton précise toutefois qu'il faudrait imposer plus lourdement les profits générés par les pétrolières, pour contrebalancer la perte de revenus du gouvernement. «Elles peuvent certainement se le permettre», dit-elle.

Aux États-Unis, la taxe sur le carburant s'en va directement dans un fonds destiné à l'entretien des routes et des ponts partout au pays. On peut dire que c'est une source de revenus cruciale, puisque les Américains n'échappent pas eux non plus aux problèmes du vieillissement des infrastructures routières.

C'est d'ailleurs l'une des raisons pour lesquelles à peu près personne d'autre que M. McCain et Mme Clinton n'est en faveur d'éliminer cette taxe. Pratiquement tous les économistes américains estiment que c'est le mauvais message à envoyer aux consommateurs, puisque l'heure est à l'économie d'énergie et à la réduction des émissions de gaz polluants.

«C'est une très mauvaise idée, a déclaré un porte-parole du Conseil de recherche américain sur l'économie à la presse américaine. Si nous voulons que les gens achètent des voitures moins énergivores, nous devons être sûrs que le prix plus élevé de ces véhicules sera compensé par les économies réalisées à la pompe.»

Même le directeur de la Fédération américaine des consommateurs, Mark Cooper, s'y oppose, croyant que c'est là une proposition «à tout point de vue stupide», a-t-il affirmé sur les ondes d'une radio étudiante américaine.

Bref, les Américains contre l'élimination d'une taxe, ce n'est peut-être pas un précédent, mais c'est rare. Si jamais les pétrolières canadiennes relancent une campagne à ce sujet, elles devront faire de gros efforts pour convaincre les consommateurs canadiens de penser différemment.