Plus un automobiliste est un bon conducteur, moins il sera affecté par l'alcool au volant. Telle est la conclusion iconoclaste d'un psychologue du Kentucky qui se penche depuis une vingtaine d'années sur les raisons pour lesquelles l'alcool a des effets différents d'un individu à l'autre.

«Un excellent conducteur qui dépasse la limite d'alcoolémie de 0,08 sera certainement moins dangereux qu'une personne qui conduit très mal», affirme Mark Fillmore, de l'Université du Kentucky à Lexington. «Il y a davantage de différence entre les aptitudes des automobilistes que de différence entre des conducteurs modérément saouls et sobres.»

Le psychologue américain est conscient que ses conclusions, publiées notamment dans la revue Accident Analysis and Prevention, pourraient inciter des automobilistes ayant une haute opinion de leurs capacités à prendre le volant après une soirée bien arrosée. «Ça serait totalement irresponsable, estime M. Fillmore. Nous sommes de très piètres juges de nos propres capacités. Et comme il n'y a pas de pointage dans les résultats des tests de conduite, ni non plus d'évaluations périodiques de nos capacités, aucun résultat objectif ne nous permet de déterminer si l'alcool nous rendra un piètre conducteur, ou tout simplement un conducteur dans la moyenne. Mieux vaut alors s'abstenir.»

Par contre, ces résultats montrent bien que les règlements qui imposent une tolérance zéro aux jeunes conducteurs frappent dans le mille. «Un jeune conducteur, par définition, n'a pas beaucoup d'expérience. Il sera donc d'autant plus affecté par l'alcool.»

D'autres conclusions des expériences de M. Fillmore ont trait à des questions plus délicates. «J'ai montré dans une étude que les personnes souffrant de troubles de l'attention et d'hyperactivité peuvent avoir des comportements aussi néfastes au volant que des personnes ivres. Je ne pense pas qu'il faille interdire la conduite aux hyperactifs, comme on le fait pour certains épileptiques. Mais il est certain que pour eux, la consommation d'alcool est particulièrement problématique, même s'ils conduisent depuis longtemps.»

Peut-on imaginer des permis de conduire ayant des limites d'alcoolémie différentes pour les hyperactifs, et pour les bons et mauvais conducteurs? «Pour les hyperactifs, je pense que l'Union des droits civils (UCLA) trouverait que c'est une discrimination contre les handicapés. Et pour ce qui est du degré d'aptitude à conduire, les tests actuels ne sont pas faits pour mesurer cela avec exactitude. Ça prendrait des investissements et une surveillance sans commune mesure avec les bénéfices qu'on pourrait avoir en diminuant l'alcoolémie limite pour les mauvais conducteurs.»

Les études de M. Fillmore ont été faites avec un simulateur de conduite. «Il serait intéressant de voir l'influence de l'alcool sur des automobilistes qui ont des dossiers de conduite différents, avec différentes quantités de contraventions et d'accidents. Mais pour que le dossier de conduite soit vraiment un indicateur des aptitudes au volant, il faudrait tenir compte d'une foule de facteurs, comme la fréquence de la conduite, les types de routes empruntées et la personnalité du conducteur.»