Qui rate son mariage se doit de réussir son divorce. Voilà à quoi Mercedes et Chrysler s'appliquent depuis bientôt un an. Et pour tout dire, cette rupture donne du tonus à chacun des ex-conjoints: Mercedes se remet à engranger les profits, tandis que Chrysler retrouve son génie inventif.

La page n'est pas tournée pour autant. Les ex-conjoints ont encore certaines choses en commun. À commencer par l'enfant du divorce: un moteur turbodiesel encore tout neuf qui, dans les ML320 CDI et Jeep Grand Cherokee CRD, fait soupirer bien des coeurs.

Un Jeep face à un Mercedes? Pourquoi pas! L'écart de prix entre un ML 320 CDI de base et un Jeep Grand Cherokee CRD bien équipé est somme toute relativement minime. Quelques milliers de dollars, tout au plus. Presque rien, considérant le prix d'entrée exigé de part et d'autre.

Dès le départ, le Grand Cherokee CRD prend les devants. Son prix est plus avantageux certes, mais son équipement est aussi plus complet. Surtout en optant pour la version Limited, la plus généreuse. Les options sont plutôt rares, hormis les phares au xénon (800$), le système multimédia MYGIG (1225$), le dispositif QuadraDrive (750$) et le fini chromé (1085$). Le Grand Cherokee est toujours privé de coussins latéraux aux sièges avant. Il y a des rideaux, par contre.

Le ML320CDI ne joue pas les pingres en matière d'équipement non plus: il offre notamment un volant chauffant, des essuie-glaces avec capteurs de pluie, la climatisation automatique, sans oublier les aides à la conduite. Bien sûr, pour améliorer l'ordinaire, Mercedes vous invite à consulter son grand catalogue d'options. On y trouve, entre autres, une chaîne audio haute fidélité (1500$), des phares bi-xénon (1675$) et une suspension pneumatique (2800$), pour ne nommer que ces trois-là. Mais la facture grimpe très vite. Donc, ici, la modération a bien meilleur goût.

Avant de grimper à bord, un mot sur la présentation extérieure. Pas question de commenter l'allure, mais plutôt le fossé qui sépare nos deux protagonistes en matière d'efficacité aérodynamique. Malgré son faciès oblong et ses phares parfaitement intégrés, le Grand Cherokee a un coefficient de traînée aérodynamique (Cx) de 0,41, par rapport à 0,35 pour le Mercedes; pour atteindre ce score remarquable, le ML320 a hélas rogné sur la taille des rétroviseurs extérieurs, trop petits considérant la taille du véhicule.

La marche est haute et les portières antérieures étroites. Par ailleurs, l'intérieur du Grand Cherokee est joliment meublé, mais d'une tristesse sans nom. La qualité des matériaux déçoit terriblement. Les plastiques sont mal taillés par endroits; ainsi, le pourtour du couvercle du coffre à gants de notre véhicule d'essai était, disons-le, presque aussi aiguisé qu'un couteau.

À cela, il faut ajouter quelques fautes d'ergonomie. Mais ce sont des riens par rapport à Mercedes, qui a le don de tout compliquer pour rien. On songe instantanément à ce sélecteur de vitesse monté sur la colonne de direction dont la commande, par impulsion, est un peu trop lente et nécessite une certaine période d'adaptation. Et que dire (pour une énième fois) de l'emplacement de la commande du régulateur de vitesse, que l'on confond trop aisément avec celle qui actionne les clignotants? Mercedes a la tête bien dure. À ces récriminations s'ajoute un système de navigation incomplet et inutilement complexe.

Excepté les articulations un peu toc des coffrets de rangement et certains accostages imprécis, c'est la grande classe à bord du ML. Tableau de bord vêtu de matériaux légèrement moussés, élégant volant en cuir multifonctionnel, boiserie en érable sur la console centrale, compteurs fuselés in-spirés de l'étude de style Vision R, grands aérateurs ronds à l'italienne, poignée de maintien en arche de part et d'autre du tunnel de transmission, tout respire la qualité, le raffinement à bord du ML.

Avec juste ce qu'il faut de sportivité, comme c'est actuellement la tendance chez Mercedes. L'habitacle réserve à ses hôtes un accueil délicat. La position de conduite ne prête flanc à aucune critique et, malgré la fermeté du rembourrage, les sièges se révèlent très confortables sur de longs trajets. On ne peut en dire autant du Grand Cherokee. Tout invitants qu'ils soient et même s'ils bénéficient de réglages électriques, les sièges avant n'en sont pas moins inconfortables. Manque de profondeur de l'assise, faible maintien latéral, ces baquets n'invitent pas à de longues randonnées. Même assis à l'arrière, où les passagers doivent composer avec le manque de moelleux de la banquette et des ceintures dont les points d'ancrage demeurent en tout temps fixes (ils sont réglables à bord du ML).

Au fil des refontes, le volume intérieur du Grand Cherokee a certes progressé, surtout aux places arrière, mais le ML procure plus d'espace et un bien meilleur dégagement. Quant au volume du coffre, le Grand Cherokee est pénalisé par rapport à celui du Mercedes par sa roue de secours (pleine grandeur) et la hauteur de son châssis. En revanche, une fois la banquette arrière rabattue, on profite d'un plancher totalement plat mais dont le seuil d'accès est un peu trop haut. En revanche, il est bon de mentionner que l'ouverture de la lunette arrière, indépendamment du hayon, permet de charger rapidement le coffre de petits objets. Un atout dont ne dispose pas le Mercedes.

Les cachettes de Mercedes

En surface, le moteur six cylindres turbodiesel de 3 litres qui anime nos deux protagonistes est le même. Mais un examen plus approfondi révèle plusieurs différences. Son créateur (Mercedes) a visiblement gardé pour lui certaines innovations et a mis au point une gestion électronique qu'il entend - notoriété de la marque oblige - conserver à son usage exclusif.

Pour mémoire, rappelons que ce bloc tout aluminium coiffe une culasse multisoupapes à laquelle se greffe un turbocompresseur à géométrie variable. À cette description technique, il convient d'ajouter la présence d'une rampe commune, d'arbres d'équilibrage et d'un filtre à particules.

Cela dit, il n'y a pas que la désignation (CRD et CDI) des constructeurs qui diffère ici. La force de couple aussi. En effet, même si la puissance est identique (215 chevaux), la force de couple et la courbe de puissance diffèrent. Profitant notamment d'une gestion plus sophistiquée, le moteur du ML offre plus de couple et ce, à l'intérieur d'une courbe plus serrée que celle du Grand Cherokee (voir notre tableau). En outre, le Mercedes bénéficie d'une boîte à sept rapports, deux de plus que celle proposée à bord du Jeep. Au rayon des différences, ajoutons à cela un poids moindre pour le Mercedes. Ces différences expliquent la plus grande vélocité du ML au chapitre des accélérations et des reprises. De la consommation aussi, comme en font foi les résultats de nos essais réalisés au cours d'une période de très grand froid.

Qu'on se trouve à bord du Jeep ou du Mercedes, il suffit de tourner la clé dans le contact pour entendre la mécanique. Pas de procédure particulière pour le démarrage, comme autrefois. Les six cylindres s'éveillent au quart de tour. Ils tremblotent aussi un peu à froid, mais sans plus. La discrétion de cette mécanique étonne. Celle du Mercedes surtout, qui bénéficie il faut dire d'une insonorisation plus poussée. Une fois la mécanique réchauffée, après quelques minutes tout au plus, les vibrations s'évanouissent. Aucun claquement. Aucune odeur. Pas même de fumées noires à l'échappement. Nos appréhensions à l'égard du moteur diesel tombent, les unes après les autres. Qui plus est, grâce à la magie de la suralimentation par turbocompresseur, ce 3 litres se montre performant.

Le comportement routier du Grand Cherokee s'est grandement raffiné au fil des ans (et des refontes); il est plus sûr, plus précis. Il n'en demeure pas moins un véhicule délicat à conduire sur les voies rapides. On sent son poids de plus de deux tonnes et, surtout, son centre de gravité assez élevé. Les éléments suspenseurs restent souples et entraînent un peu de roulis dans les virages, et la direction est affligée d'un certain flou au centre et de quelques points durs dans l'assistance.

À vitesse de croisière, la direction apparaît cependant surassistée. Rien de tout cela au volant du ML. La direction est toujours aussi collante (manque de rappel) à basse vitesse et peu incisive au moment de l'inscrire dans la trajectoire désirée.

Globalement, le châssis est sûr, efficace et facile à appréhender. Notre préjugé devient encore plus favorable lorsque le ML est équipé (une option, ne l'oubliez pas) de la suspension Airmatic. Cette dernière gère avec beaucoup de justesse la variation de l'amortissement, le contrôle du roulis et l'assiette du véhicule. La suspension traditionnelle (ou standard, si vous préférez) n'est pas vilaine non plus. Moins sophistiquée, elle se révélera à l'usage et à l'usure moins coûteuse à entretenir et à réparer.

En revanche, en ville, le Grand Cherokee se rachète de belle manière. Son court rayon de braquage, sa bonne visibilité, son radar de stationnement (de série alors qu'il est en option sur le Mercedes) et le débattement de ses suspensions le rendent étonnamment agile. Plus que le ML qui, en plusieurs occasions, donne l'impression de rouler sur des roues de bois en raison des trépidations occasionnées par une chaussée mal entretenue.

Budget

Le ML320 CDI enfonce un peu plus le clou en offrant - de série - une garantie plus complète, une valeur de revente supérieure et surtout, surtout, une consommation et des émissions plus raisonnables.

Le Cherokee CRD ne paraît pas mal, tout de même. Sans doute qu'une version moins équipée aurait permis au Jeep de grappiller quelques dixièmes de point au chapitre du budget, mais cela n'aurait pas suffi pour lui procurer la première marche du podium. Surtout que la très grande sobriété du ML lui permet, au fil de kilomètres, de réduire un peu plus l'écart de prix qui le sépare de son ex partenaire.

L'auteur tient à remercier Jean-François Guay pour sa participation à ce match.