L'entreprise québécoise Cirbin, établie à Delson, voulait lancer la fabrication d'un nouveau véhicule à trois roues, mi-moto mi-voiture.

L'entreprise québécoise Cirbin, établie à Delson, voulait lancer la fabrication d'un nouveau véhicule à trois roues, mi-moto mi-voiture.

Il devait être frondeur plutôt que séduisant. Vigoureux plutôt qu'élégant.

Bâti autour d'un moteur Harley-Davidson, il lui fallait évoquer les Fifties américains, exprimer la culture automobile américaine.

Vous aurez compris qu'on visait le marché américain.

Le résultat a été dévoilé pour la première fois cette semaine à Las Vegas, à la foire SEMA des accessoires automobiles et des voitures modifiées.

«Ce n'est pas un véhicule sympathique: il fait du bruit et il en impose», décrit Luc Bourgeois, designer industriel et co-concepteur du V13R avec son associé et collègue François Couillard.

L'engin montre un nez camus de boxeur, des sourcils froncés, une calandre étroite, sans radiateur, qui vise d'abord à donner du caractère à un faciès autrement trop doux. Détachés de la carrosserie, les garde-boue épousent les pneus comme une coquille entoure un oeuf dur. Les quatre phares surgissent du capot dans des cylindres chromés, «comme quatre balles de fusil», exprime Luc Bourgeois. Un bad boy, résume-t-il. «Le design est raffiné, mais il faut que ça reste brutal, costaud. À trop vouloir en mettre, il y a un risque que ça devienne maniéré.»

Car l'équilibre est délicat à maintenir entre les formes arrondies du vocabulaire automobile des années 50 et la touche agressive qui sied à une bête qui mord le bitume. L'esthétique ne connaît pas de vérité absolue: les designers doivent trouver le langage qui sera évocateur pour la clientèle visée. «Il y a eu une longue phase de recherche formelle», indique François Courteau.

Au début d'un projet, les firmes de design préparent souvent une planche sur laquelle ils regroupent les images, les styles, les objets desquels ils s'inspireront. Ils peuvent ainsi garder à la mémoire les objectifs initiaux, facilement perdus de vue dans la fièvre du développement.

Sur cette planche, les deux designers ont présenté des motos aux courbes organiques, des moteurs chromés, des hot rod revisités à la moderne, un bouledogue, les visages mal rasés de Sean Penn et Mickey Rourque...

Dans cet esprit, Luc Bourgeois, le styliste du duo, a esquissé de nombreuses propositions, raffinées peu à peu jusqu'au concept final.

L'impact visuel était tellement essentiel au succès du projet que les ingénieurs de Cirbin n'ont achevé le développement du châssis tubulaire qu'une fois le concept suffisamment avancé, question de ne pas interférer avec le coup de crayon des designers.

Ce coup de crayon, d'ailleurs, se fait directement à l'écran... Dans la salle où travaillent les cinq designers de la petite firme de Ste-Thérèse, on n'entend que les cliquetis frénétiques des souris...

Une fois l'esquisse arrêtée, restait encore à la concrétiser. C'était la tâche de François Couillard, spécialiste de la modélisation 3-D et du développement virtuel. La moindre intention, la plus fine courbe, doivent être traduites numériquement. L'assemblage de chaque pièce doit être prévu, conçu. «Si le capot s'ouvre, c'est parce qu'on en a développé le système d'ouverture», assure-t-il.

Le projet a été complété en six mois - un exploit.

«On a même fourni aux mouleurs un fichier 3-D des moules pour accélérer leur travail», lance François Courteau. Les quatre premiers prototypes, assemblés dans un atelier de Blainville, ont été livrés quelques jours avant la foire de Las Vegas. «Rater l'exposition n'était pas une option.»

Le V13R y était.

Avec sa sale gueule soignée dans les moindres détails.