La différence, c'est que M. Curtiss le fait depuis très, très longtemps. Il a commencé avec sa toute première voiture, une Ford 1929 Modèle A, qu'il conduit toujours à l'âge de 84 ans, après plus de 300 000 kilomètres.

La différence, c'est que M. Curtiss le fait depuis très, très longtemps. Il a commencé avec sa toute première voiture, une Ford 1929 Modèle A, qu'il conduit toujours à l'âge de 84 ans, après plus de 300 000 kilomètres.

Il avait 15 ans, en 1938, quand il a acheté sa Modèle À pour la somme minime de 10$. En 1929, elle se vendait neuve à 400$, mais c'était avant la dépression... «L'homme de Derby qui en était propriétaire était sans emploi, et il avait faim, se souvient M. Curtiss. J'ai conduit une année sans permis, et le jour de mes 16 ans, j'ai obtenu mon permis avec cette voiture.»

Depuis ce temps, il n'a pas modifié l'auto, sauf pour l'installation d'un moteur Hudson Terraplace en 1940. «Je faisais la course avec d'autres élèves, de l'école secondaire à la maison, mais il y avait quelques voitures que je ne réussissais pas à devancer. Avec le nouveau moteur, je pouvais rouler à 130 km/h et les devancer toutes. Le moteur standard de la Modèle À ne permettait pas de dépasser 90 km/h.»

L'attrait de cette voiture, c'est qu'elle n'a jamais été restaurée. La tôle du plancher est percée, la bourre de coton est visible dans quelques banquettes et la peinture s'effrite. M. Curtiss s'est procuré des trousses de réparation, mais il n'arrive pas à se convaincre de les utiliser. «Les gens l'aiment telle quelle», dit-il.

Attachement sentimental

L'attachement à sa vieille Ford 1929 est surtout d'ordre sentimental, reconnaît M. Curtiss. Il a rencontré son épouse Dorothy peu après l'achat de l'auto. Il avait 17 ans, elle 14. Quand elle est décédée en 1998, ils avaient célébré 56 ans de mariage. Leurs initiales, qu'ils ont gravées à l'adolescence, sont toujours visibles sur le volant. «Dorothy est la première fille - et la seule - que j'aie embrassée dans cette voiture, dit-il. Pour cette raison, elle n'a pas de prix.»

«Les gens disent: «Vous êtres probablement ravi que la voiture ne puisse parler», ajoute-t-il.

M. Curtiss et son épouse se sont rendus en voiture à l'Exposition mondiale de New York en 1940. Il a aussi conduit sa Modèle À du Massachusetts jusqu'à six camps de l'armée en Géorgie, durant la Seconde Guerre mondiale.

Ford a construit un peu plus de cinq millions de Modèle A de 1928 à 1931. Chuck E. Christensen, âgé de 68 ans, directeur technique du Model À Ford Club of America, estime qu'entre 50 000 et 100 000 de ces voitures ont survécu jusqu'à aujourd'hui. Les propriétaires à long terme comme M. Curtiss sont beaucoup plus rares. «Dans la plupart des cas, les voitures ont changé de propriétaire à plusieurs reprises au fil des ans», précise M. Christensen.

«La voiture la plus laide…»

Selon Bob Casey, conservateur du musée Henry Ford à Dearborn, au Michigan, la Modèle A est équipée d'une meilleure transmission et d'un système de freinage plus efficace. Elle a par ailleurs un design plus aérodynamique que son prédécesseur, la Modèle T. «Le style de la Modèle A, créé sous la direction d'Edsel Ford, le fils d'Henry, ressemble beaucoup à celui des Lincoln de l'époque», dit-il. Edsel avait plus de talent que son père pour juger de l'apparence d'une auto, estime-t-il.

Une trentaine d'années après avoir vendu le concessionnaire qui porte toujours son nom, Curtiss-Ryan Honda, M. Curtiss inscrit tous les ans sa voiture à une douzaine de salons de l'auto. Des affiches sur les portes expliquent qu'il s'agit de sa première voiture et un texte manuscrit collé sur une vitre latérale raconte son histoire. Elle a mérité 14 trophées.

«C'est toujours la voiture la plus laide à chaque salon de l'auto, mais elle gagne des trophées à cause de son passé», assure M. Curtiss.

Reconnaissant que la voiture a maintenant peu de valeur à cause de son état, il entend la laisser en héritage à sa famille. «J'aimerais poursuivre la tradition de conduire cette auto, déclare son arrière-petit fils, Mike Zenisky, âgé de 16 ans. C'est en quelque sorte le symbole de l'amour entre mon arrière-grand-père et mon arrière-grand-mère.»