Le regard de tueur et le sourire moqueur, Mario Theissen s'est enfin exprimé, hier, au sujet de sa décision de mettre en doute la présence de Jacques Villeneuve dans son équipe pour la fin de la saison.

Le regard de tueur et le sourire moqueur, Mario Theissen s'est enfin exprimé, hier, au sujet de sa décision de mettre en doute la présence de Jacques Villeneuve dans son équipe pour la fin de la saison.

Cet homme-là est capable de vous mentir en vous regardant droit dans les yeux. Vous savez qu'il vous ment et il sait que vous le savez. Peu lui importe.

Theissen fait face à de sérieuses difficultés. Avant tout, il songe à sauver son poste de patron de la compétition de BMW. Et s'il peut se débarrasser du même coup d'un Jacques Villeneuve dont il n'aime ni le style, ni le franc-parler, c'est tant mieux. Ainsi, pour le Bavarois, l'éviction du Québécois est avant tout une manoeuvre de diversion. Peut-être celle de la dernière chance.

Patron de la compétition de BMW depuis 1999, c'est lui, Mario Theissen, qui a poussé la marque allemande à acheter l'écurie Sauber. En promettant que l'opération serait rapidement rentable, tant en termes de résultats que d'image.

Les résultats, on les attend encore. Après un début de saison raisonnable, le championnat 2006 de l'équipe allemande tourne au cauchemar. Sans compter que les budgets calculés par Theissen ont apparemment explosé.

À Hockenheim, la semaine dernière, deux membres influents du directoire de BMW avaient fait le déplacement du Grand Prix d'Allemagne- dont le futur remplaçant de Burckard Göschel, le patron de la marque.

Mario Theissen, dont la gestion est mise en cause, s'est retrouvé sous une pression énorme. Du coup, le désastre en course- avec l'accrochage des deux voitures au premier tour- a pris une dimension catastrophique.

Tandis que Jacques Villeneuve en rejetait la responsabilité sur Nick Heidfeld, le jeune Allemand- et Mario Theissen- pensent que la faute en incombait au Québécois, qui a percuté l'arrière de la voiture de son coéquipier. Furieux, Theissen a échangé des mots très durs avec Villeneuve avant de quitter brutalement le circuit.

« Jacques n'a pas participé au briefing d'après-course à Hockenheim, confirmait Theissen, hier. Ensuite, il nous a fait dire qu'il ne viendrait pas ici. Alors nous avons décidé de donner sa chance à Robert Kubica. Pour la suite, nous n'avons encore pris aucune décision. »

Et lorsque l'on signale à Theissen que Villeneuve sera totalement rétabli dès la semaine prochaine, il ne se déride pas: « Notre intention est de bien observer comment Robert (Kubica) se comporte ce week-end avant de porter notre choix pour le restant de la saison, martèle-t-il. Je n'ai encore rien décidé au sujet de Jacques. »

Du contrat détenu par le Québécois, le Bavarois se moque totalement. « Nos avocats examinent les aspects contractuels liés à l'éviction de Jacques au cas où il souhaiterait revenir en Turquie. Ne vous inquiétez pas, nous pouvons gérer les problèmes juridiques. » Comme tous les patrons d'écurie, Theissen rêve de découvrir le futur Alonso, le prochain Schumacher. Et avec Kubica, il semble certain de l'avoir trouvé: « Je suis certain que Robert fera de l'excellent travail ce week-end. Il pilote pour nous depuis janvier et il s'est montré exceptionnellement doué jusqu'ici. Il a couvert plus de 13 000 kilomètres pour nous et il connaît tous les détails de la voiture. Il démontre une grande maturité pour ses 21 ans, il a un excellent jugement technique et il ne sort pratiquement jamais de route. La seule question ouverte, à son sujet, consiste à savoir s'il est bon pour les départs et les ravitaillements. »

Theissen, à ce stade, avoue qu'il songeait tôt ou tard à écarter Jacques Villeneuve pour faire place au Polonais. « De toute façon, nous voulions tester Robert en course, admet-il. Mais peut-être pas aussi tôt dans la saison. C'est l'accident de Jacques qui nous en donne l'occasion. »

Et puis, Kubica, c'est un peu « son » poulain. « Je le surveille depuis 2004, à l'époque de la Formule 3, poursuit Theissen avec un trémolo de fierté dans la voix. Et je suis allé le voir personnellement courir à Macao. J'ai jugé qu'il n'est pas seulement très rapide, mais qu'il est aussi très fort mentalement, parce qu'il s'est débrouillé presque sans aide extérieure. L'an dernier, Renault l'a laissé tester sa R25, ce qui a fini de me convaincre. Cet essai a démontré que Robert était immédiatement très rapide, dans une voiture inconnue et sur un circuit inconnu. Renault aurait voulu le signer, mais je le leur ai soufflé sous le nez. »

En fait, Mario Theissen est si sûr de son poulain qu'il l'imagine même se jouer de Nick Heidfeld ce week-end. « Naturellement, on attend de nos pilotes de courses qu'ils se donnent à 100 %, poursuit Theissen. Je ne pense pas que Nick se soit laissé aller ces derniers temps, mais toujours est-il que nous ne sommes pas là où nous devrions être. »

Le châssis BMW Sauber F1.06, c'est le moins que l'on puisse dire, n'est pas à la hauteur des ambitions de l'équipe allemande. Alors, pour masquer les problèmes, Mario Theissen fait diversion. Avec le remplacement de Villeneuve, il occupe le terrain médiatique, il ne se fait pas interroger sur la technique et montre qu'il ne reste pas les bras croisés devant le manque de résultats. En attendant, c'est Villeneuve qui fait les frais de cette habile manoeuvre.

Robert Kubica, lui, reste loin de ces considérations politiques. On lui donne un volant, il va faire de son mieux. « C'est vraiment inattendu, mais c'est une opportunité extraordinaire pour moi, admet-il. Je vais découvrir un vrai week-end de Grand Prix et j'espère que ça se passera bien. » Le fait que Jacques risque d'être écarté pour la fin de la saison ne le surprend pas. « S'ils me choisissent, c'est peut-être parce que je suis plus rapide! (rire). Je vais devoir apprendre beaucoup de choses ce week-end, et ce ne sera pas facile. Mais je vais sauter dans la voiture et rouler le plus vite possible. »

Alors que tout semble joué d'avance, Mario Theissen, en fin politicien, souffle le chaud et le froid au sujet de Villeneuve: « Je suis relativement satisfait des progrès de Jacques cette saison, commente-t-il pour conclure. Il a fait du bon boulot, tant en course qu'en essais, et je vais songer à lui pour 2007. Mais je vous répète que je ne peux lui offrir aucune garantie de piloter pour la fin de saison. »

Des propos qui masquent mal la réelle volonté de Theissen. Pour ce dernier, une bonne performance de Robert Kubica dimanche constituerait le succès personnel dont il en a absolument besoin pour renforcer sa position chez BMW.

Il n'y a manifestement pas de place pour Jacques Villeneuve dans ses plans. Cette fois, les carottes semblent cuites pour le Québécois.