Pour une deuxième fois en moins d'une décennie, l'exécution par l'OSM de la monumentale et non moins sculpturale Symphonie no 8 de Mahler, dite des Mille, a frappé l'imaginaire des mélomanes montréalais.

Frappé... dans le mille? À tout le moins dans le 350, pour reprendre le chiffre des effectifs artistiques recensé hier à la Maison symphonique. 

Ceux et celles ayant assisté à la précédente, soit à la Wilfrid-Pelletier en septembre 2008, nous raconteraient fort possiblement avoir vécu une autre expérience que celle de mardi, si ce n'est que pour la disposition des choeurs et l'effet alors produit chez l'auditoire.

Mardi soir, à la Maison symphonique, les très nombreux chanteurs étaient disposés en hauteur, soit derrière l'orchestre comme le suggère la configuration de l'amphithéâtre. Le jeu des masses sonores s'en trouvait forcément différent. Nous avons ainsi vécu une autre incarnation de la relation sonore entre chant et orchestre à travers une même oeuvre. 

Présentée à guichets fermés, cette version de septembre 2017 était peut-être plus intelligible, plus sobre, peut-être moins spectaculaire, néanmoins maîtrisée à souhait par l'OSM et son maestro qui excellent dans les exécutions de Mahler comme on le sait.

Au croisement de la symphonie et de la cantate, annonciatrice de formes musicales à venir et pourtant ancrée dans les périodes antérieures, exploitant à la fois le sens donné par les extraits d'une oeuvre littéraire grandiose (Faust de Goethe) et les qualités musicales de la voix humaine en relation, témoignant d'une approche orchestrale à la fine pointe de son époque, la Symphonie des Mille fait vivre une expérience unique à ses auditeurs.

Dès l'introduction orchestrale et l'exposition du premier thème, soit l'hymne grégorien Veni Creator Spiritus, on a senti la puissance collective des voix humaines. Les thèmes suivants, «Imple superna gratia» et «Infirma nostri corporis», ont accentué cette perception pour culminer avec l'«Accende lumen sensibus» et propulser encore plus haut l'allégresse spirituelle avec le retour du premier thème et la conclusion extatique de «Gloria sit Patri Domino». 

La relation entre solistes et choeurs, l'approche contrapuntique, la vision polyphonique en illustrent alors le génie compositionnel, particulièrement dans les variations d'intensité et les tutti spectaculaires de cette première partie fort bien exécutée par l'orchestre et les choeurs montréalais. Déjà, on s'incline devant l'équilibre parfait des masses sonores prévu par son compositeur que connaît profondément maestro Kent Nagano.

Beaucoup plus longue et fondée sur le texte de la fameuse scène finale de Faust, «Schluss Szene aus Faust» pour ne pas la nommer, la seconde partie se présente comme la succession très cohérente de tableaux contrastés, variations d'intensité et jeux de langages musicaux, construction brillamment conçue, de surcroît inspirée par la tension dramatique et la charge philosophique de Faust

L'introduction très délicate et très subtile des discours orchestraux et choraux précède les interventions successives, alternées ou combinées, des solistes et choeurs  soutenus par l'orchestre  : le baryton Russell Braun, la basse David Steffens, voix féminines ou mixtes émanant des choeurs, la mezzo-soprano Allyson McHardy, le ténor Michael Schade, la contralto Marie-Nicole Lemieux, les sopranos Sarah Wegener, Camilla Tilling et Aline Kutan nous mènent progressivement, marche par marche, palier par palier, jusqu'au finale éblouissant de l'oeuvre. 

Tout au long de cette prestation on aura senti clairement l'implication des musiciens de l'OSM, les choristes adultes ou enfants ainsi que les solistes, prêts à magnifier la profondeur et la richesse de cet édifice orchestral érigé au matin de la modernité.

ORCHESTRE SYMPHONIQUE DE  MONTRÉAL

Chef d'orchestre : Kent Nagano

Solistes : Sarah Wegener, soprano, Camilla Tilling, soprano, Aline Kutan, soprano, Allyson McHardy, mezzo-soprano, Marie-Nicole Lemieux, contralto, Michael Schade, ténor, Russell Braun, baryton, David Steffens, basse.

Choeur de l'OSM - Andrew Megill, chef de choeur 

Les Petits Chanteurs du Mont-Royal - Andrew Gray, chef de choeur  

Mardi soir, 19h, Maison Symphonique. Reprise, jeudi, 20h, Maison symphonique

Programme  Symphonie nº 8 en mi bémol majeur dite «des Mille» (1906-1907) de Gustav Mahler (1860-1911)

1. Veni, creator Spiritus (Viens, esprit créateur) / Texte: Rabanus Maurus Magnentius (v./c. 784-856)

2. Schlussszene von Goethes Faust (Scène finale du Faust de Goethe) / Texte: Johann Wolfgang von Goethe (1749-1832)