Après le concert du Philadelphia Orchestra, jeudi à Osaka, Yannick Nézet-Séguin a réuni ses musiciens pour les rassurer. Oui, il allait devenir le directeur musical du Metropolitan Opera de New York, mais non, il ne les abandonnerait pas : son entente avec l'orchestre de Philadelphie venait d'être prolongée jusqu'en 2026.

« C'était un moment très émouvant et j'ai senti un grand soulagement parce qu'il y avait beaucoup de spéculation autour du Met et tous les musiciens se demandaient si j'allais leur annoncer que je les quitterais éventuellement », a raconté le chef montréalais la nuit dernière depuis le Japon où son orchestre américain boucle une tournée de trois semaines à guichets fermés qui l'a également mené en Chine.

« C'était tout organisé : au moment où je parlais à mes musiciens, un verre de champagne à la main, quelqu'un d'autre envoyait un texto et le New York Times pouvait sortir son histoire, ajoute-t-il. Je suis très heureux que les deux institutions aient accepté d'annoncer leur nouvelle parallèlement, évacuant ainsi tout doute qu'une annonce de l'une aurait créé chez l'autre. »

Pris dans le tourbillon des interviews depuis l'annonce spectaculaire de jeudi, le chef montréalais se réjouit du fait que son choix « clairement nord-américain » lui permettra de consolider les deux facettes de sa personnalité artistique, l'opératique et la symphonique, dans une géographie assez concentrée.

« D'autres chefs ont eu une maison d'opéra et un orchestre symphonique de premier plan mais, souvent, leurs orchestres étaient séparés par au moins un océan, sinon deux. Le fait d'être à une heure de distance en train me permet d'avoir plus de projets. Si je suis en répétition pendant un mois au Met pour une nouvelle production, je peux aller à Philadelphie pour une activité éducative ou un concert. » 

« C'est un grand choix, j'allais dire un choix difficile parce que je vais faire moins de présences comme chef invité en Europe, mais j'ai fait ce choix consciemment. »

- Yannick Nézet-Séguin

Son contrat de cinq ans avec le Metropolitan Opera doit le mener en 2025-2026 comme celui qui le lie au Philadelphia Orchestra. Mais c'est un contrat ouvert (evergreen, dans le jargon du métier), donc renouvelable chaque année par la suite avec l'accord des deux parties.

Dans le milieu des grandes institutions musicales, où tout est planifié longtemps à l'avance, Nézet-Séguin s'étonne que des observateurs avisés n'aient pas compris pourquoi il n'entrera officiellement en fonction au Met qu'en 2020, même s'il en sera le directeur musical désigné à compter de la saison 2017-2018. De toute façon, ajoute-t-il, c'est dès aujourd'hui qu'il doit s'atteler à la tâche.

« Le Met est en train de préparer sa saison 2020-2021, donc même si je ne suis pas encore officiellement en poste comme directeur musical, je le suis finalement parce que la planification doit se faire maintenant pour la saison 2020-2021, du choix des opéras à celui des metteurs en scène, des équipes artistiques, des distributions, et cetera. »

LES DÉFIS DU MET

Les défis qui attendent Yannick Nézet-Séguin à la direction musicale de « la plus grande organisation artistique du monde en termes de budget » sont nombreux et de taille. Le New York Times a rappelé hier que, récemment, le Metropolitan Opera avait dû effectuer des coupes budgétaires de l'ordre de 300 millions, obtenir des concessions syndicales, et que le taux d'occupation moyen de sa salle était de 72 % cette saison.

« La salle du Met est immense, reconnaît le maestro. Ça fait un peu partie de son charme, mais c'est aussi un gros handicap pour certaines initiatives de créativité. Ça fait partie des discussions fondamentales qu'on devra avoir au cours des prochains mois, des prochaines années : comment rester créatifs et tenter de rejoindre tous les publics tout en respectant notre salle, mais en se disant : notre salle n'est peut-être pas la seule ? »

Nézet-Séguin se garde bien d'étaler sur la place publique les idées qu'il entend soumettre aux autorités du Met, mais il aimerait beaucoup que son orchestre, sinon toute la compagnie, recommence à faire des tournées, même si de telles opérations sont très coûteuses. Il veut également se servir de l'expérience acquise à Montréal avec l'Orchestre Métropolitain pour que le Met demeure « le mètre étalon du standard opératique mondial » tout en étant à l'écoute de sa ville, de sa communauté, des jeunes et des enfants.

« J'ai toujours cru, avec l'OM par exemple, que la plus grande qualité artistique n'excluait pas d'aller jouer pour moins cher dans des arrondissements de Montréal et donc d'être plus accessible, lance-t-il. Je compte faire un peu la même chose avec le Metropolitan Opera même si, évidemment, la ville de New York pose des défis différents.

« C'est un gros défi, mais ça fait plus de la moitié de ma vie que des institutions culturelles me confient des responsabilités artistiques, enchaîne-t-il. À 18 ans, j'étais responsable d'un gros choeur, à 20 ans, j'ai fondé mon ensemble... Rien de la taille du Met, mais j'ai quand même une expérience qui va me permettre de relever le merveilleux défi de la meilleure maison d'opéra du monde à un âge où j'ai encore énormément d'énergie et de désir de le faire. Si j'avais attendu à 50 ou 60 ans, ç'aurait peut-être été un peu différent... »