Le violoniste Yehudi Menuhin, disparu en 1999 à 82 ans, a marqué son siècle avec un «son immédiatement reconnaissable» et un engagement humaniste exceptionnel, témoigne son ami de 40 ans le réalisateur français Bruno Monsaingeon, à l'occasion d'un 100e anniversaire marqué par de nombreux concerts en Europe.

«De la fin des années 20 à la fin des années 50, Yehudi est à un niveau de virtuosité jamais atteint», estime-t-il. «Après, il devient quelqu'un d'autre, quelqu'un qui a assumé le poids du monde et de la souffrance, avec une sorte d'universalité».

Il y a un «son Menuhin immédiatement reconnaissable», souligne-t-il. «Il est capable du plus extrême raffinement quand il joue Mozart à la plus extrême sauvagerie quand il joue Bartok, il a un son qui peut s'adapter à tous les styles de musique, il y a une ferveur, et aussi le sentiment qu'il porte le poids du monde».

Yehudi Menuhin naît en 1916 à New York de parents juifs qui ont quitté la Russie à l'adolescence pour émigrer en Palestine puis aux États-Unis. Il reçoit son premier violon avant son cinquième anniversaire, et prend des leçons avec Louis Persinger, premier violon de l'orchestre de San Francisco, où s'est installée la famille.

Un premier concert à 8 ans à San Francisco, un concert à Paris (Tchaïkovski) à 10 ans avec l'Orchestre Lamoureux en 1927, puis au Carnegie Hall la même année fondent sa légende.

Yehudi Menuhin supplie le compositeur roumain et violoniste Georges Enesco, installé à Paris, de lui donner des leçons particulières. Toute la famille s'installe alors près de Paris, à Ville d'Avray.

Le beau livre que Bruno Monsaingeon consacre à Yehudi Menuhin dans le coffret anniversaire de 80 CD et 11 DVD édité par Warner Classics témoigne de la précarité de la famille à l'époque, alors que le père s'est mis en disponibilité de son travail à San Francisco.

Mais la réussite ne tarde pas, et Menuhin devient une célébrité mondiale, qui donnera entre 7000 et 8000 concerts dans le monde entier.

«Il devient prodigieusement connu, ce n'est pas un gamin qui joue génialement du violon, c'est un grand artiste qui déploie à un âge précoce une maturité exceptionnelle: il a posé sa marque sur les Partitas de Bach qu'il a enregistrées quand il avait de 13 à 16 ans», rappelle Bruno Monsaingeon.

Il défend Soljenitsyne au Kremlin

Pendant la guerre, Yehudi Menuhin joue plus de 500 fois pour les forces alliées et les forces françaises libres. Il se rend dès 1945 en Allemagne pour des concerts dans les camps de concentration libérés et les camps de réfugiés, s'attirant l'ire de Menahem Begin, alors à la tête de l'Irgoun, qui promet de le tuer «s'il met le pied» en Palestine.

Il prendra néanmoins le risque de se rendre en Israël en 1950. Et quarante ans plus tard, il fera sensation lors d'un discours devant la Knesset prônant la réconciliation avec les Palestiniens en 1991.

Bruno Monsaingeon évoque son «universalité», cette capacité qu'il avait de s'adresser aux gens quels que soient le pays, les niveaux sociaux, les règles en vigueur. En Afrique du Sud, il joue dans les Townships et poursuit son agent qui ferme les salles de concerts aux Noirs, en vertu de l'apartheid.

En Russie, il défend en 1971 Soljenitsyne et Rostropovitch au Kremlin même, et devient persona non grata jusqu'en 1987.

Son ouverture commence évidemment dans la musique, où il pratique, le premier, le «crossover», enregistrant aussi bien avec le violoniste de jazz Stéphane Grappelli qu'avec le grand musicien indien Ravi Shankar.

Des concerts lui rendent hommage un peu partout en Europe, au premier chef en Angleterre où il s'était installé en 1959, avec le concours Menuhin Competition London du 7 au 17 avril, en Allemagne avec 18 concerts entre avril et novembre (Live Music Now Germany) et en Suisse au Gstaad Menuhin Festival qu'il avait fondé en 1956.

La chaîne franco-allemande Arte diffuse le 1er mai une journée spéciale Yehudi Menuhin avec notamment le documentaire Le violon du siècle de Bruno Monsaingeon (1995) et un concert d'hommage du Konzerthausorchester de Berlin avec le violoniste Daniel Hope.