Dans les années 50 et 60, la New York School fédérait des artistes d'avant-garde issus de différentes pratiques: musique, danse, poésie, arts visuels. Le détachement musical de ce mouvement comptait John Cage, Christian Wolff, Earle Brown et Morton Feldman (1926-1987).

L'oeuvre de Feldman, qui s'inscrit dans une phase radicale de la musique contemporaine américaine, exclut les balises mélodiques, harmoniques et rythmiques des périodes antérieures de la musique sérieuse.

Morton Feldman a-t-il passé l'épreuve du temps? Si un ensemble montréalais lui consacre trois soirées consécutives à la salle Bourgie, c'est qu'il soulève un intérêt certain auprès des férus de musique contemporaine.

«Maintes fois, on nous a demandé de jouer sa musique et pour cause: elle est puissante», amorce Isabelle Bozzini, violoncelliste et cofondatrice du quatuor qui porte son nom de famille.

Un demi-siècle plus tard, l'apprivoisement des oeuvres de Feldman doit néanmoins se faire dans l'immersion afin d'en prendre la pleine mesure, prévient Isabelle Bozzini: 

«Ces musiques nécessitent un contexte d'écoute attentive. On ne les présente pas n'importe où, n'importe quand, n'importe comment. Chez les musiciens comme chez l'auditoire, la concentration est de mise. Pour nous du Quatuor Bozzini, c'est vraiment un plaisir qu'on se fait après 15 ans d'existence.»

Microvariations

Aussi radical fut-il dans sa manière d'agencer les sons, Morton Feldman n'a jamais préconisé une esthétique violente, fait observer notre interviewée: 

«Il était dans un monde doux et tranquille, qui se transformait peu à peu, qui bougeait lentement. Dès ses premières oeuvres, il était déjà dans la répétition de motifs, un processus instinctif qui laissait une certaine marge d'improvisation aux interprètes.»

«De manière générale, la musique de Feldman est une musique de patience. C'est une oeuvre majeure du XXe siècle, qui invite à l'introspection, qui invite à se perdre.»

Plus précisément, Feldman travaillait à exposer un motif musical à travers des petites variations rythmiques et texturales, indique la violoncelliste. «Ces microvariations étaient très inspirées de la peinture moderne ou contemporaine, mais aussi de l'art oriental. À la fin des années 70, il s'inspirait par exemple des motifs de tapis orientaux dont il était un fervent collectionneur.»

Philip Gareau, musicologue montréalais invité à cet événement Morton Feldman, souligne dans ses notes de programme que le compositeur américain affectionnait particulièrement le quatuor à cordes, véhicule principal de ces trois soirées consécutives à la Salle de concert Bourgie.

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Présenté par le Quatuor Bozzini en collaboration avec la Fondation Arte Musica, l'événement consacré au compositeur Morton Feldman est présenté à la Salle de concert Bourgie: Clarinet and String Quartet (1983), ce soir 19 h 30; String Quartet (1979), demain, 19 h 30; Piano and String Quartet (1985), samedi, 19h30.

Découvrez les trois programmes dans les mots d'Isabelle Bozzini

1- Le premier programme (ce soir) se composera d'abord de conférences données par Philip Gareau et par Linda Catlin Smith, compositrice américaine (établie à Toronto) qui a travaillé avec Feldman. Le tout sera suivi de l'interprétation de Clarinet and String Quartet (1983).

«Originaire d'Edmonton, le clarinettiste James Campbell est un chambriste classique qui a joué avec plusieurs orchestres d'importance en Amérique du Nord. Pour lui, c'est un défi d'interpréter cette oeuvre pour la première fois. C'est une pièce particulièrement minimaliste, qui dure 45 minutes», indique Isabelle Bozzini.

2- Demain soir, le plat de résistance sera servi: String Quartet (1979).

«La première oeuvre de longue durée pour quatuor à cordes de Feldman dure une centaine de minutes sans entracte. Pour les interprètes, c'est un défi de précision et de souffle, mélange de tension et d'extrême détente. Il faut maintenir cette tension, un flottement doux qui n'a rien de dramatique et qui doit couler de source. Nous voulions jouer cette pièce depuis un moment déjà; c'est un choix personnel et un défi de taille.»

3- Samedi, le troisième programme met en scène quatuor à cordes et piano: Piano and String Quartet (1985).

«Cette oeuvre se déroule très lentement; elle est construite comme un dialogue intégré. Sauf exception, il s'agit d'une alternance d'interventions entre le piano et les cordes. C'est plus posé et plus lent, alors que l'oeuvre avec clarinette est plus rapide. Cela dit, on reste dans le même type d'harmonie et de rythme. Nous avons déjà joué cette oeuvre au Japon il y a deux ans; nous voulions la reprendre. Isolde Lagacé [de la fondation Arte Musica] nous a suggéré le pianiste Pedja Muzijevic, d'origine bosniaque vivant aux États-Unis, avec qui nous nous sommes trouvé des atomes crochus.»

PHOTO MICHAEL SLOBODIAN, FOURNIE PAR LE QUATUOR BOZZINI

Le Quatuor Bozzini