Premier problème : la salle. La Maison symphonique, avec ses 2 000 places et trois galeries, est beaucoup trop grande pour la musique de chambre et l'intimité visuelle et surtout acoustique que le genre appelle. Cela, on a beau le répéter et le déplorer chaque fois, certains organismes s'entêtent à placer récitals et séances de petits groupes dans ce vaisseau pourtant bien libellé «symphonique».

Il y a d'autres problèmes encore, dont l'un découle du premier. Laissant dans un tel lieu une impression de lointain et de superficiel, ces lectures de l'Archiduc et du Tchaïkovsky réunissant Yefim Bronfman au piano, Anne-Sophie Mutter au violon et Lynn Harrell au violoncelle eurent sans doute gagné, ne fût-ce que légèrement, à être offertes dans le cadre approprié.

Mais la «music business» voit les choses autrement. Nous avons devant nous trois gros noms -- surtout les deux premiers, Bronfman et Mutter -- qui commandent de tels cachets que deux organismes, l'OSM et Pro Musica, durent s'unir pour les présenter, avec un prix de 108 $ pour les meilleurs billets.

Le produit valait-il ce prix? Pas du tout. Au départ, le trio annoncé n'en est pas vraiment un. Il est constitué de trois musiciens qui poursuivent des carrières indépendantes et que quelqu'un, quelque part, a simplement décidé, un jour, de réunir pour se produire en trio.

Nous avons entendu ces deux oeuvres un nombre incalculable de fois par les trios les plus aguerris du monde musical. Ainsi, le légendaire Beaux-Arts pour l'Archiduc et le Borodine pour le Tchaïkovsky.

Dans le cas présent, il faut d'abord corriger le nom. C'est Yefim Bronfman qu'il faut nommer en premier, parce que la partition des deux oeuvres place le piano en tête et parce que M. Bronfman fut à la fois le meneur de jeu de l'exercice et, des trois instrumentistes en présence, le plus intéressant sur le plan musical. S'il maintint le Beethoven à un niveau plutôt routinier, en revanche il entraîna ses deux collègues dans une conclusion du Tchaïkovsky pleine de pathos.

Jouait-il parfois trop fort? Non, ce sont les deux autres qui n'en donnaient pas assez!

On nous permettra tout d'abord une remarque : Mme Mutter aurait pu s'habiller et se tenir d'une façon plus décente, un concert n'étant pas un spectacle rock. Le jeu est d'ailleurs en accord. Peu importe sa célébrité, l'ex-femme d'André Previn n'est plus l'authentique et respectable musicienne que nous avons connue il y a fort longtemps. Elle joue les notes dans le Beethoven, elle les alourdit abusivement dans le Tchaïkovsky où elle emprunte un détestable petit côté café-concert pour la valse de la sixième variation. 

Le violoncelliste se trompe grossièrement au deuxième retour du refrain, à la fin du Beethoven, mais il produit une sonorité nourrie et l'ensemble de son jeu est convenable, rarement plus.

Les musiciens font la reprise au premier mouvement du Beethoven et livrent le Tchaïkovsky intégralement, sans les coupures autorisées dans la partition. Le concert est donné dans l'obscurité totale, comme au cinéma. La foule applaudit entre les mouvements et ovationne bruyamment, mais les visiteurs saluent sans accorder de rappel. Ce dont nous leur savons gré.

***

YEFIM BRONFMAN, pianiste, ANNE-SOPHIE MUTTER, violoniste, et LYNN HARRELL, violoncelliste. Samedi soir, Maison symphonique, Place des Arts. Présentation : OSM et Pro Musica.

Programme : 

Trio no 6, en si bémol majeur, op. 97 À l'Archiduc (1811) - Beethoven 

Trio en la mineur, op. 50 (1882) - Tchaïkovsky