Aride, dogmatique: le célèbre compositeur et chef d'orchestre français Pierre Boulez, 90 ans jeudi, souffre d'une image caricaturale, surtout en France, que veut déjouer une grande exposition à Paris, tandis que des concerts lui rendent hommage dans le monde entier.

L'exposition Pierre Boulez se tient jusqu'au 28 juin à la Philharmonie de Paris, qui est un peu son bébé. Elle a été inaugurée en son absence la semaine passée, l'âge et la fatigue l'ayant retenu  dans sa maison de Baden Baden, en Allemagne.

«Les clichés, c'est que sa musique est aride, c'est le dictateur, l'ayatollah ou même le Führer, au moment de son installation en Allemagne» (en 1959), rappelle Laurent Bayle, président de la Philharmonie et dauphin de Boulez.

Sorties de leur contexte, les formules tranchantes de Boulez ont contribué à la caricature. «Si vous prenez Schoenberg est mort (1952) vous vous dites, le gars c'est un ayatollah, il veut aller encore plus loin, c'est la terre brûlée, l'aridité extrême, et c'est vrai que pendant trois ou quatre ans, sa génération a cherché ce qui se passe quand on nettoie la musique de toutes ses scories romantiques, de son pathos. Mais ça, c'est en 1951-52 et en 1954, il est déjà ailleurs...»

Pierre Boulez est un artiste en mouvement, «un moderne dans l'acception la plus brûlante du terme, un homme de la rupture», explique l'historien des idées François Cusset dans le beau livre-catalogue Pierre Boulez publié chez Actes Sud. Un «intellectuel majeur de notre temps», dit-il, en phase avec les philosophes de son époque, Deleuze, Foucault, Barthes, tissant des «croisements» avec les peintres (Paul Klee, Nicolas de Stael, Francis Bacon ..) inspiré par la musicalité des poètes comme René Char, Antonin Artaud, Mallarmé.

Ce dialogue des arts est le fil conducteur de l'exposition, qui montre de nombreux tableaux (Klee, Miro, Kandinsky, Bacon) dont certains rares provenant de collections privées.

La voix de Boulez, limpide, commente directement le parcours, grâce aux nombreuses archives sonores. Des salles d'écoute diffusent des extraits, dont le fameux «Répons» spatialisé: le son déferle de partout, à l'image de l'orchestre à l'époque, réparti au centre et autour du public.

Bâtisseur d'institutions 

Pour le pianiste Pierre-Laurent Aimard, 57 ans, choisi à 19 ans par Boulez comme soliste pour son Ensemble intercontemporain, Boulez est «le plus grand musicien de son époque». «Il n'est pas du tout dogmatique, il a une vision très forte, mais il est très ouvert à autrui, profondément humain». L'exposition montre un Boulez juvénile, rieur, bousculant allégrement dogmes et traditions.

Le pianiste évoque «un immense créateur, qui renouvelle la fonction de chef d'orchestre, qui pense son époque comme un grand intellectuel, qui écrit, enseigne, et un bâtisseur d'institutions infatigable».

«Il a bâti l'Ircam, un centre de recherche acoustique qui est envié dans le monde entier, un Ensemble pour jouer la musique contemporaine qui est un des meilleurs, et puis il s'est battu pour la Philharmonie de Paris», rappelle-t-il.

Paradoxalement, Pierre Boulez est aujourd'hui davantage reconnu et joué à l'étranger. «Il a été nommé chef à la tête d'orchestres étrangers (New York Philharmonic, orchestre de la BBC), mais jamais à la tête d'orchestres français», observe Sarah Barbedette, commissaire de l'exposition.

«Il y a une réception extraordinaire», souligne Pierre-Laurent Aimard, qui entame en mars une tournée mondiale pour jouer l'intégrale de son oeuvre pour piano, au Carnegie Hall de New York, à Chicago, Berkeley, et une douzaine de villes européennes dont Amsterdam et Salzbourg au mois d'août.

Certes, le grand public connaît peu la musique de Boulez, mais «il y viendra, ça met toujours du temps», espère Aimard. «Si vous interrogez les grands compositeurs de notre époque, ils vont tous vous citer Le Marteau sans maître comme une oeuvre phare».

Outre l'exposition à la Philharmonie de Paris, plusieurs grands concerts rendent hommage à Boulez cette année, le 20 avril avec le London Symphony Orchestra, le 23 avril avec Daniel Barenboim et la Staatskapelle Berlin, 11 juin Répons par l'Ensemble Intercontemporain.