Kent Nagano et l'Orchestre symphonique de Montréal se sont fait plein d'amis samedi, au cours d'une super soirée à la Maison symphonique, où le concept de la série «L'OSM éclaté» a pris tout son sens, tant du point de vue musical qu'institutionnel, l'OSM marquant sa volonté de s'ouvrir à une facture nouvelle des concerts symphoniques. Et, partant, de prendre une place nouvelle dans la cité.

Au programme: la Symphonie no 5 de Beethoven, qui s'ouvre avec les quatre notes les plus connues du répertoire occidental: Tata-tatom...; une pièce peu amène du jeune compositeur allemand Jörg Widmann, Teiresias... pour six contrebasses; et Bogus Pomp, une sérieuse parodie de la musique symphonique composée par Frank Zappa, guitariste américain mort en 1993.

Éviter la routine

«La routine est la mort de l'art», avait dit Kent Nagano dans la causerie pré-concert où il s'est avéré un excellent pédagogue en répondant aux questions de l'animateur Matthieu Dugal sur sa façon d'aborder une oeuvre aussi connue que la 5e Symphonie de Beethoven. «On ne joue pas une oeuvre de cette envergure avant de l'avoir étudiée de nouveau, rejouée au piano, réanalysée», a expliqué maestro Nagano avec humour, en se rappelant qu'il n'était «pas assez intelligent pour avoir peur» quand, encore étudiant, il avait dirigé pour la première fois la Symphonie du Destin. L'OSM ne l'avait pas jouée depuis 2010, et l'interprétation vibrante de samedi a valu à l'Orchestre et à son chef une longue ovation.

Le public a ensuite écouté avec intérêt la pièce inspirée de l'histoire de Tirésias, le devin de la mythologie grecque, «une pièce presque impossible à jouer», selon Nagano. Et pas mal difficile à écouter aussi: longs silences, absence totale de mélodie. Par contre, les six contrebassistes de l'OSM auront fait découvrir à bien du monde le potentiel percussif de l'archet et une partie des sons que l'on peut tirer de la contrebasse en jouant au-dessous du chevalet... Pour qui aimerait explorer plus avant la musique d'un pareil ensemble, suggérons l'Orchestre de contrebasses de France, qui s'est produit ici à l'Astral en 2012.

Les clichés de l'orchestre

Samedi, beaucoup s'étaient rendus à la Maison symphonique pour entendre cette pièce de Zappa qui apparaissait sur son album de musique expérimentale Orchestral Favorites de 1979. Le titre Bogus Pomp pourrait se traduire par «faux nez» ou, plus poétiquement, par «pompeuse boulechite». Nagano, alors chef invité du London Symphony Orchestra, a enregistré Bogus Pomp avec Zappa en 1982.

Avant la pièce, grâce à la magie satellitaire, le Maison symphonique s'est mise en lien avec la salle Hector-Charland de L'Assomption, où Dweezil Zappa, guitariste comme son père, présentait Zappa plays Zappa; la tournée se termine ce soir à Rimouski. «Je vous remercie de garder vivante la musique orchestrale de mon père», a dit Dweezil à Kent Nagano, un ami de la famille, semble-t-il.

Frank Zappa l'iconoclaste a voulu exploiter dans Bogus Pomp tous les clichés de l'orchestre: ici, le premier et le deuxième violon qui se relancent des solos pendant que le premier violoncelliste - qui doit mesurer 6 pi 4 po - joue debout ou porte son instrument à son cou; là, les cuivres qui se lèvent d'un bond pour lancer trois notes. Beaux joueurs, les musiciens de l'OSM ont tapé du pied et des mains, crié à pleins poumons comme l'exige la partition. L'OSM a plein de talents et d'humour.

La Maison symphonique s'est bidonnée quand l'OSM a joué ces mesures qui rappelaient les airs les plus sirupeux de l'époque de Lawrence Welk et quand le premier alto, sous les quolibets de ses collègues, a joué son solo dos au chef. L'affaire s'est terminée quand, dans la rangée arrière, les percussions, qui travaillent fort dans Bogus Pomp, se sont allumé une cigarette, alors que maestro Nagano, sans baguette, dirigeait les dernières mesures.

L'OSM a de l'humour, son chef aussi.