Quand le Collegium Vocale Gent fait de la musique, le temps s'arrête. Le miracle s'est produit, mercredi soir, en nous faisant pénétrer dans un autre monde pour goûter chaque minute d'une inoubliable leçon de musique.

L'Oratorio de Noël de Jean-Sébastien Bach a été écrit pour être donné en six jours. En combinant les six cantates pour totaliser deux heures et demie de musique, on aurait pu mettre à l'épreuve la capacité de concentration des auditeurs. Pourtant, rarement a-t-on pu observer une aussi grande qualité d'écoute chez les spectateurs de la Maison symphonique, jusqu'à la toute fin. Aucune toux intempestive, aucun applaudissement mal venu n'est venu troubler la paix qui se dégageait de chaque note entendue.

C'est que l'on ne voulait rien perdre: l'osmose parfaite des voix, la précision des attaques, le soin religieux apporté à chaque nuance et l'intention musicale insufflée au moindre détail. Homme de peu de gestes, Philippe Herreweghe n'a pas besoin de s'agiter pour être compris de ses musiciens, qui travaillent avec une unité rare. La cohérence et la qualité de leur interprétation reflète une compréhension et un respect du texte et du compositeur hors du commun.

En effet, l'approche du chef vise à faire ressortir la beauté intrinsèque de la musique plutôt qu'à la modeler d'après une vision artificielle. Jamais carré, vertical ni alourdi, le discours musical senti et guidé par Herreweghe est fluide, vivant; il danse, respire et s'élève avec naturel. Ce n'est pas une musique qui plonge l'auditeur dans un feu d'artifice d'émotions fortes. C'est plutôt une musique qui l'apaise et l'émerveille en douceur.

Les tempi sont assez rapides, mais sans tomber dans cette folie de vitesse qui semble s'être emparée de certains ensembles baroques depuis quelques années. On aurait simplement souhaité qu'ils ralentissent un peu pour l'aria Schlafe, mein Liebster, qui, après tout, est destiné à bercer l'Enfant Jésus!

Les solistes sont exceptionnels. La beauté des voix de la soprano Dorothee Mields et du contre-ténor Damien Guillon nous enchantent, tandis que le ténor Thomas Hobbs impose sa présence en Évangéliste dynamique. La basse Peter Kooij, seul soliste présent à l'époque du premier enregistrement de l'oeuvre par le Collegium en 1989, semble avoir perdu un peu de son aisance vocale mais compense en étant très expressif. Saluons l'inspiration presque mystique de la concertmeister Anne-Katharina Schreiber et la virtuosité du premier hautbois, Marcel Ponseele. Seul bémol: au premier choeur de la quatrième cantate, les cors, qui donnent pourtant de la couleur à ce mouvement, manquaient d'assurance et d'éclat.

Les cantates de Bach furent écrites pour édifier les fidèles de l'église luthérienne, dans une réalité à mille lieues de notre époque stressée qui ne croit plus en rien. Mais il n'est pas nécessaire de croire à l'histoire racontée dans l'Oratorio de Noël pour être touché par l'inspiration de si grands interprètes et par le génie de Bach. Du moment que l'on accepte de s'arrêter au milieu de la course folle et d'écouter, des concerts d'exception comme celui d'hier soir ont ce pouvoir miraculeux de consoler les coeurs.