Invité l'été dernier à la série dominicale d'orgue de la Basilique Notre-Dame, Matthieu Latreille y revenait cette année et y jouera une troisième fois l'été prochain, dans le cadre d'une quasi-intégrale Widor-Vierne de 75e anniversaire, les deux maîtres de l'orgue symphonique français étant disparus la même année 1937.

Pierre Grandmaison, titulaire à Notre-Dame et responsable de ces récitals, a confié à son élève Latreille, pour l'an prochain, la troisième Symphonie de Vierne. De cette symphonie considérée comme la plus achevée des six que Vierne nous a laissées, M. Latreille avait retenu dimanche soir trois des cinq mouvements, comme une sorte d'avant-première pour l'an prochain et aussi en accord avec cette nouvelle tendance des organistes de s'en tenir à quelques mouvements seulement des symphonies de Widor et de Vierne, lesquelles, il faut le reconnaître, sont parfois bien longues et bien lourdes.

Passe encore que l'on omette un ou deux mouvements de certaines oeuvres, mais ajouter à une oeuvre un mouvement qui ne lui appartient pas est un jeu fort dangereux. M. Latreille a joué ce jeu avec Bach et le Prélude et Fugue BWV 544, en si mineur : il a intercalé le deuxième mouvement, Andante, de la quatrième Sonate en trio, BWV 528, entre les deux composantes du diptyque, c'est-à-dire entre le prélude et la fugue.

L'organiste de 28 ans a expliqué qu'il avait voulu «apporter de la variété» au diptyque -- comme si celui-ci en avait besoin ! -- avec cette page venue d'ailleurs et colorée d'anches nombreuses et différentes aux deux mains. Effectivement, il y avait du contraste aux claviers manuels et du contraste au sein même de ce BWV 544 agrandi. Le problème, c'est que la chose n'a pas été conçue ainsi par Bach. La présence de l'Andante au beau milieu du diptyque non seulement n'ajoutait rien de valable à l'original mais en déformait carrément la physionomie.

Je ne comprends pas le professeur d'endosser de telles libertés, surtout que le BWV 544 de M. Latreille se défendait parfaitement bien comme tel : placé sur une registration à la fois sobre et généreuse, et lu avec une clarté qui, à la pédale autant qu'aux manuels, servait  bien la complexe fugue aux trois contresujets.

Dans les limites de ces récitals d'une heure, sans entracte, l'organiste livra avec conviction le deuxième Choral de Franck, qui n'est pourtant pas le plus séduisant des trois, et conclut avec les trois extraits de Vierne mentionnés. Ce condensé de la troisième Symphonie confirma  les qualités de virtuose, de registrateur et d'interprète déjà révélées par le débutant : un Allegro initial tumultueux, un Adagio méditant sur quelques jeux seulement, une toccata finale explosive faisant appel à l'orgue complet.

MATTHIEU LATREILLE, organiste. Dimanche soir, Basilique Notre-Dame. Orgue à traction électropneumatique Casavant (1890-1991); 92 jeux, quatre claviers manuels et pédale.