Richard Séguin a lancé la semaine dernière Retour à Walden, album concept inspiré du philosophe américain Henry David Thoreau, adepte de la simplicité volontaire - il a vécu deux ans dans une cabane en forêt, séjour qu'il raconte dans son livre Walden ou la Vie dans les bois -, précurseur de la désobéissance civile et fervent abolitionniste. Nous sommes allés rencontrer Richard Séguin dans ses terres, à Saint-Venant-de-Paquette où il vit depuis plus de 40 ans, pour marcher à ses côtés dans la forêt qui l'inspire et l'apaise.

Dès que la voiture passe devant l'église de Saint-Venant, minuscule village de l'Estrie situé à quelques jets de pierre de la frontière américaine, Richard Séguin sort du café où il nous attend. Il s'avance au milieu du chemin principal, nous indique le stationnement et, alors que nous sommes à peine sortis de l'auto, après 2 heures 30 de route, il est déjà lancé.

«C'est loin, Montréal, hein? rigole-t-il, fébrile et de bonne humeur. Bon. Ici, c'est l'église, on l'a rachetée il y a 20 ans et on l'a rénovée...» Il s'arrête et nous interroge, plein de bienveillance. «J'imagine que vous voulez vous déposer un peu avant qu'on commence?»

Richard Séguin est chez lui, ici, même si nous ne sommes pas à proprement parler sur «son» terrain, dont il conserve jalousement le secret. Il connaît tout le monde et parle de tout avec enthousiasme: du Sentier poétique créé il y a 20 ans et qui prend de l'expansion d'année en année, de l'attention qu'il met à nettoyer un bout d'espace chaque printemps, de la Nuit de la poésie qui vient d'attirer 1200 personnes en plein mois d'août, des spectacles et des expositions de photos présentés à l'église et au café de la Maison de l'arbre, où nous nous attablons quelques minutes avant d'aller parcourir un petit kilomètre dans la forêt.

«On va aller faire une partie du Sentier poétique, c'est juste de l'autre côté de la 253 », explique-t-il. Tout le long du parcours jalonné de plaques où on peut lire des textes de poètes québécois, il commente le choix d'une photo ou d'une poète, s'extasie devant la beauté d'un filet de lumière qui passe à travers le feuillage, ramasse une plume de corneille. À 66 ans (eh oui!), Richard Séguin est heureux, en paix, et on comprend pourquoi.

«Quand j'ai fait la formidable aventure des Douze hommes rapaillés, les chanteurs plus jeunes nous demandaient souvent comment durer dans le métier, et j'avais tendance à répondre qu'il faut savoir disparaître», dit-il.

«Quand tu as fini de faire ce que tu as à faire, aie le réflexe du chevreuil et va-t'en dans le bois. Si tu reviens avec une proposition intéressante, le monde va revenir te voir.»

C'est à cela que lui a toujours servi son repaire de Saint-Venant, où il pouvait s'isoler du milieu pendant un, deux, trois ans. «Ici, tu prends la juste valeur du temps», dit-il en rappelant ce sage conseil de Félix Leclerc: «C'est un métier où il faut plus souvent dire non que oui. Et il avait raison.»

Mais loin de lui l'idée de se voir comme un modèle. «Ah, je ne suis même pas capable de donner des ateliers de création de chanson, comme à Petite-Vallée, par exemple! Il n'y a pas de règle à ça. Chacun fait selon sa façon.»

Loin de l'autoroute

L'auteur-compositeur-interprète arrive donc cet automne avec ce nouveau disque complètement hors norme qui dure pas moins de 1 heure 15, composé de quatre textes récités et de 15 chansons interprétées par quatre personnages, chacun ayant son univers musical propre. Dans ce monde où la majorité des chansons sont consommées à la pièce, il y a quelque chose d'audacieux dans ce Retour à Walden, qui témoigne de la grande indépendance d'esprit de Richard Séguin.

«Je sais que c'est une proposition exigeante», dit-il, s'estimant chanceux que sa maison de disques, Spectra, l'ait suivi dans ce projet coûteux qui demande un grand engagement de la part de l'auditeur.

«Vieillir, ça te donne cette liberté. Moi, ça fait longtemps que je ne suis plus sur l'autoroute, mais plutôt sur des chemins de bois ! Ça fait une grosse différence.»

«Mais il y avait aussi une urgence, un geste de volonté de dire: je m'arrête et je plonge là-dedans.»

C'est que Thoreau, qui nous rappelle qu'il faut vivre en harmonie avec la nature, est absolument d'actualité, souligne le chanteur. Il cite la lettre ouverte sur les changements climatiques publiée à la suite d'un appel lancé par Juliette Binoche et signée par 200 personnalités du monde artistique, et estime que nous avons atteint notre «point de rupture» en négligeant ce lien.

«Je trouvais intéressant d'utiliser les propos d'un homme qui a vécu il y a 150 ans pour parler d'aujourd'hui. Surtout qu'il n'est pas qu'un personnage contemplatif, c'est aussi une invitation à l'action. Sa réflexion est suivie par des gestes.»

Américain

Lors de la présentation du projet aux médias, il y a une dizaine de jours, l'écrivain Louis Hamelin, grand lecteur de Thoreau, a résumé ainsi le philosophe américain: amour de la nature et indépendance d'esprit. On aurait cru entendre une description de Richard Séguin lui-même...

Mais quand on lui demande s'il s'identifie à Thoreau, le non est catégorique. Cela, même s'il s'est abreuvé à ses écrits, particulièrement ces dernières années. Même s'il partage avec lui une profonde américanité - «C'est une des grandes figures, comme Kerouac, Miron. On fait partie de cette Amérique dans la façon d'habiter le territoire. J'entendais les descriptions des expéditions de Thoreau, c'est dans notre cour! C'est les montagnes Blanches, la même chaîne des Appalaches...» Et même s'il s'est construit une cabane d'exactement la même dimension que celle de Thoreau - «Je m'en suis rendu compte après!» -, où il se retire pour travailler.

«Je me méfie de l'identification. La première invitation que nous fait Thoreau, c'est "fais ta vie à toi". Fais ta vie, renforce tes convictions, va t'abreuver aux endroits qui vont t'inspirer.»

C'est en marchant dans la forêt, en méditant, en lisant et en relisant que Richard Séguin s'est littéralement imprégné de ces paroles, pour arriver à écrire des chansons fluides et accessibles. «C'est ça qui est long dans le processus. Je crois à ça, moi, les mots qui rentrent dans ta chair, qui sont vivants dans toi. Après c'est plus facile d'écrire.»

Présent

Retour à Walden arrive après trois ans de travail, particulièrement depuis un an, puisque deux semaines après la fin de sa tournée, en septembre dernier, Richard Séguin présentait le projet à sa garde rapprochée. «Mais tout a été harmonieux et simple», dit-il, notant que ce disque s'inscrit tout à fait dans la continuité de son travail. «Ce n'est pas à côté de moi. C'est la création qui prend une autre forme.»

«Pour moi, Richard Séguin, c'est vraiment quelqu'un qui a les deux pieds dans le présent», disait d'ailleurs Guido Del Fabbro, qui a coréalisé Retour à Walden avec Hugo Perreault, lors de la présentation médiatique. C'est ce qu'on constate aussi: lorsqu'on lui parle des 30 ans de Journée d'Amérique, un de ses disques phares qui a marqué l'imaginaire collectif - «Ces chansons font partie de nous», ajoutait Jorane, qui a chanté sur le disque -, Richard Séguin éclate d'un grand rire.

«Je rigole parce qu'on vient de souligner les 40 ans de Fiori-Séguin. Je l'ai fait pour les retrouvailles avec Serge, c'était agréable. Mais après, quand on m'est arrivé avec les 30 ans de Journée d'Amérique et l'idée de peut-être faire une tournée-souvenir comme Peter Gabriel avec So, ça ne me tentait pas du tout.»

C'est clair, Richard Séguin n'aime pas beaucoup vivre dans le passé.

«C'est comme quand tu marches dans le bois. Si tu regardes en arrière, tu risques de t'enfarger. Je préfère me consacrer à la création vive.» 

Il ne regrette rien - «Ma seule crainte serait d'avoir blessé des gens sans faire exprès, parfois ça m'angoisse, mais ma blonde est là pour me rassurer» -, chante encore plusieurs de ces chansons en spectacle, mais l'époque des 10 Spectrum d'affilée, «c'est fini, ça. Je suis reconnaissant de ce que cette période m'a apporté, mais ça reste des souvenirs».

Il continuera ainsi à faire de la scène - «tant que j'aurai la santé» -, toujours en formule trio avec ses comparses des 10 dernières années, Hugo Perreault et Simon Godin. «Je les ai déjà bookés pour 2020!», dit-il, précisant qu'il aime bien se poser à chaque endroit où il chante. «Au lieu de faire juste un soir dans une grande salle, on en fait 10 dans une petite. C'est une autre manière de faire.» 

Inquiétude

Vers la fin de notre promenade, assis sur un banc, la conversation vient naturellement sur l'avenir de la chanson.

«J'ai peur d'une assimilation douce, tranquille, sournoise. C'est ça, c'est comme si on ne s'apercevait pas qu'il y a un recul de la chanson francophone. Et si tu le dis un peu trop fort, on va te répondre: "Ben voyons, t'es pas de ton temps."»

Est-il inquiet? 

«Je suis toujours sur mes gardes, toujours, en ce qui concerne la survie de notre culture et de la langue.»

Nous repartons en discutant tranquillement d'inspiration - «C'est comme quand tu fais un jardin, tu n'as pas à craindre que ça ne pousse pas, c'est juste une question de patience et de travail» -, des différents styles musicaux qu'on retrouve sur Retour à Walden, de sa manière de donner des images aux musiciens pour obtenir le son qu'il désire, de la première guitare que son père lui a achetée quand il avait 14 ans. Après un dernier arrêt à la Maison de l'arbre, c'est le moment de quitter le village - mais pas avant d'avoir visité l'église, qu'il tient à nous montrer.

Le lendemain matin, coup de fil de Richard Séguin, qui veut faire quelques précisions. «Je voulais juste mentionner le nom d'Hercule Gaboury. C'est lui qui a écrit les premiers textes de présentation du Sentier poétique. Il n'est jamais cité et les gens ont tendance à l'oublier. Je trouve ça dommage.» 

Devant tant de délicatesse, on repense à cette phrase qu'il a dite au cours de notre promenade, à propos de la poésie. «Il faut combattre toute forme de rancoeur, pas juste en vieillissant, parce que ça peut gruger par en dedans. Et le contact avec la poésie, ça éloigne ça.»

Photo Hugo-Sébastien Aubert, La Presse

Saint-Venant-de-Paquette