Avec une cinquantaine de trames sonores de jeux vidéo à son actif, le compositeur danois Jesper Kyd - à qui l'on doit la musique de quatre volets d'Assassin's Creed, conçu par Ubisoft Montréal, dont le tout premier, sorti il y a 10 ans - est une icône de sa profession. La Presse s'est entretenue avec lui pour mieux comprendre son métier.

On vous décrit parfois comme le Hans Zimmer ou le John Williams des jeux vidéo. Peut-on affirmer cela?

Chaque fois qu'on me compare à eux, je trouve ça très flatteur. Ces deux compositeurs sont reconnus pour se réinventer, et j'essaie moi-même de le faire dans presque chaque projet. J'adore leur travail. Dans E.T., lorsque le vélo commence à voler et que les notes de piano imaginées par Williams se font entendre, c'est très émotif et parfaitement composé pour cette scène-là. Et Gladiator de Zimmer demeure ma trame sonore favorite à ce jour!

Quand avez-vous commencé à composer de la musique de jeux vidéo?

J'avais 18 ans quand mon premier jeu vidéo a été vendu, en 1980, mais j'avais composé la musique de plusieurs autres jeux qui n'ont jamais été commercialisés. À 13 ans, quand j'ai eu mon premier ordinateur, un Commodore 64, j'ai commencé à créer des ambiances, des mélodies et des lignes musicales. Ça m'a vite accroché! Depuis, je compose une pièce par jour. Peu importe que ce soit bon ou non, je suis accro à la création.

Faut-il aimer jouer aux jeux vidéo pour en composer la musique?

C'est un avantage. Adolescent, je faisais partie de l'European Demoscene: on utilisait des ordinateurs pour faire de la programmation, des graphiques et de la musique. J'ai créé plus de 50 maquettes là-bas. À 19 ans, j'ai lancé une entreprise de jeux avec des amis. J'ai donc une compréhension intime des jeux et des interactions avec les structures musicales. Et quand je joue, j'analyse toujours la musique, pourquoi elle fonctionne ou ce que j'aurais pu faire. Si on veut que la musique fonctionne avec un jeu, son atmosphère et sa ligne dramatique, on doit aimer jouer.

Quand vous avez créé la musique du premier Assassin's Creed, quelle était votre vision?

Le premier jeu se déroule en 1191 durant la Troisième Croisade, alors c'est très violent! Ubisoft m'a demandé de travailler sur trois éléments: la guerre, la tragédie et le mysticisme. Je devais aussi considérer les villes principales où cela se déroulait, pour qu'il y ait une distinction sonore entre elles : Acre qui est davantage chrétienne, Damas qui est surtout musulmane et Jérusalem qui est un mélange. Par exemple, je n'utilisais jamais la guitare acoustique pour Damas, parce que c'est un instrument typiquement occidental.

Voulez-vous que les joueurs reconnaissent votre personnalité dans chaque jeu?

Je pense que j'ai un style particulier et j'aime que les gens reconnaissent ma musique quand ils jouent, mais je ne peux pas écrire seulement pour moi-même. Je dois soutenir l'histoire. Cela dit, je ne peux pas échapper à qui je suis et aux sons qui émergent de mon imagination quand je travaille.

Combien de temps cela prend-il pour créer de la musique pour un jeu?

Cela dépend des jeux. Certains nécessitent quatre heures de musique, d'autres, seulement trente minutes. Dans le cas des partitions de la série Assassin's Creed, j'y ai investi énormément de temps. Je faisais de la recherche sur les périodes historiques et les personnages avant de composer et d'enregistrer. En général, je peux travailler sur un jeu pendant six ou neuf mois à temps plein.