«Je voulais faire de la musique, et j'en fais, maintenant. Et je tiens à souligner que je ne pourrais pas faire ça tout seul», lance Sixto Rodriguez au bout du fil de Detroit, où il habite depuis une quarantaine d'années dans la même maison d'un quartier modeste.

L'équipe à laquelle il fait référence comprend évidemment ses filles - dont la cadette Regan, qui répond au téléphone, remercie le journaliste d'interviewer son papa en prévision de son concert à Montréal et s'assure qu'il va bien entendre nos questions. Mais elle comprend aussi ce que Rodriguez appelle son «personnel», qui permet à l'homme de 75 ans - que la vie et les problèmes de santé n'ont pas épargné - de mener une improbable carrière envers et contre tous.

Ceux qui ont vu Searching for Sugar Man, gagnant de l'Oscar du meilleur documentaire en 2013, connaissent l'histoire incroyable de cet auteur-compositeur-interprète aux racines mexicaines vivant à Detroit, dont les deux premiers albums, lancés en 1970 et 1971, ont été ignorés partout dans le monde, sauf en Afrique du Sud, où ses chansons ont galvanisé les opposants à l'apartheid. Au pays de Mandela, on le croyait mort pendant que notre homme survivait à Detroit en multipliant les boulots qui n'avaient rien à voir avec la musique.

Puis deux miracles sont survenus à une quinzaine d'années d'intervalle: vers la fin des années 90, des Sud-Africains ont retrouvé sa trace et l'ont invité à se produire sur scène dans leur pays devant des foules considérables. Enfin, en 2012, Seaching for Sugar Man a répandu la bonne nouvelle de par le monde et Rodriguez a été invité à chanter dans des salles aussi prestigieuses que le Royal Albert Hall, le Radio City Music Hall et, plus fort encore, devant les masses rassemblées aux festivals de Coachella et de Glastonbury.

«Ce sont des sommets dans ma vie provoqués par le film. C'était fantastique de me retrouver devant tous ces gens qui chantaient avec moi. C'était authentique puisqu'ils connaissaient les paroles.»

«Aujourd'hui, je suis honoré que Dave Matthews, Paolo Nutini et Jack White, qui ont leur propre carrière, reprennent mes chansons», ajoute Rodriguez.

Le pourquoi des reprises

Tant et si bien qu'aujourd'hui, Rodriguez n'a plus besoin de travailler dans la construction et peut donc se consacrer à sa carrière musicale tardive, quoique pas autant qu'il le désirerait. «On ne m'a jamais versé de droits sur mes ventes de disques. Je dois encore me battre en cour et la justice bouge lentement. Ça m'empêche d'écrire quoi que ce soit», explique-t-il.

Mais tout cela n'explique pas pourquoi Rodriguez interprète en concert presque autant de reprises d'autres artistes que ses propres chansons, comme l'ont constaté ceux qui l'ont vu à l'Olympia montréalais l'an dernier.

Il peut aussi bien piger dans la grande chanson américaine du milieu du siècle dernier qu'emprunter des succès aux Doors, aux Stones ou même à Jefferson Airplane. N'essayez pas nécessairement d'y trouver des liens thématiques avec les textes de ses propres chansons, prévient-il: Rodriguez cherche surtout à créer une ambiance en associant des chansons du même genre.

«Il faut être capable de jouer autre chose que ses propres chansons pour être considéré comme un vrai musicien, dit-il tout bonnement. Je ne pourrais pas prouver aux gens que je sais jouer si je faisais uniquement mes chansons. Ces dernières années, j'ai beaucoup donné de spectacles et je me suis amélioré à force de jouer. Et puis, j'ai 75 ans et je joue pour des publics très variés, dont certains spectateurs de mon âge. J'essaie de leur donner ce qu'ils aimeraient entendre.»

«Je suis d'abord et avant tout un artiste de scène et la capacité d'attention du public est très courte.»

Curieusement, s'il devait entrer en studio pour enregistrer un premier album en 45 ans, ce serait un disque entièrement instrumental, dit-il. Mais pas question de jouer de nouvelles compositions ce soir au MTELUS - autrefois le Métropolis -, où, contrairement à l'an dernier alors qu'il était seul sur scène, il sera entouré d'un guitariste de Londres, d'un bassiste de New York et d'un batteur de Los Angeles.

«Je ne fais pas de nouveau matériel en public parce qu'aujourd'hui, tout le monde peut enregistrer le spectacle, prendre des photos et du même coup faire votre promotion. Grâce à la technologie, le public fait désormais partie du spectacle. C'est intéressant.»

Le musicien politique

Rodriguez a pleuré la mort de Malik Bendjelloul, le jeune réalisateur suédois de Searching for Sugar Man qui s'est suicidé il y a trois ans. Il ne sait rien des raisons qui l'ont poussé à commettre ce geste «horrible et tragique», mais il rappelle qu'aux États-Unis, pays riche s'il en est un, on n'investit pas suffisamment en santé, notamment dans l'aide aux personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale.

On reconnaît là celui qui se définit comme un musicien politique et qui a tenté sa chance deux fois plutôt qu'une aux élections municipales à Detroit. L'an dernier, il confiait à ses fans montréalais qu'il allait voter pour Hillary Clinton, et aujourd'hui, il qualifie Donald Trump de «personne vaniteuse dont les déclarations prouvent qu'il est sénile».

Mais même si l'actualité est parfois déprimante et que lui-même ne l'a pas eue facile dans la vie, Rodriguez demeure un incorrigible optimiste.

«Je regarde l'avenir et je me dis que quand le professeur sera prêt, les élèves vont se manifester. Et il y en a beaucoup, des élèves. C'est pour ça que j'ai le devoir de dire les choses que je ressens.»

_______________________________________________________________________

Au MTELUS, ce soir, à 20 h.