Choisir des chansons, c'est un processus qui s'échelonne sur toute une vie, lance Diana Krall au bout du fil. Mais vient un moment où il faut faire un tri parmi tous les standards que l'artiste voudra relire à sa façon.

L'été dernier, donc, la pianiste et chanteuse canadienne a amorcé cette discussion avec Tommy LiPuma, le réalisateur réputé qui a travaillé avec Miles Davis, Barbra Streisand et Paul McCartney et qui a accompagné Diana Krall dans la création de certains de ses albums les plus marquants, dont The Girl in the Other Room et The Look of Love. Un mois à peine après la fin de leur travail d'équipe sur Turn Up the Quiet, Tommy LiPuma a rendu l'âme à 80 ans, le 13 mars dernier.

Quand elle a commencé récemment à donner des interviews pour parler de ce nouvel album de jazz qu'elle adore, Diana Krall était encore bouleversée et cherchait les mots justes pour exprimer sa peine.

«Je travaillais avec Tommy depuis 25 ans et, en plus, sa femme Jill et lui étaient comme mes parents à New York, raconte-t-elle. C'était une personne forte, très en forme et il n'était pas malade quand nous avons travaillé ensemble. C'est arrivé subitement.» 

«On a eu de très belles critiques pour cet album et je suis triste de ne pas pouvoir prendre un verre de vin avec Tommy pour célébrer ça.»

Elle se console toutefois en se disant que Tommy LiPuma était lui aussi très fier de Turn Up the Quiet, un disque qui s'est fait dans la joie comme l'illustre bien la chanson I'll See You In My Dreams, note-t-elle.

«Tommy trouvait que, de tous mes albums, c'est celui où j'ai le plus d'assurance, que c'est mon disque qui a le plus de swing et d'authenticité, celui qui témoigne le mieux de mon évolution. Ce disque, je n'aurais pu le faire sans lui. Il comprenait pourquoi c'était important de faire un duo avec [le contrebassiste] John Clayton sans rien ajouter d'autre et de laisser les musiciens déployer leur talent comme le faisait Billie Holiday avec Barney Kessel et Jimmy Rowles sur un disque comme Songs For Distingué Lovers

Les leçons de piano

Quand nous l'avons rencontrée au moment de la sortie de son album de reprises pop Wallflower, il y a deux ans, Diana Krall nous avait dit qu'elle renouerait probablement avec le jazz swing dans son prochain album. Mais ce n'est qu'après avoir commencé à travailler à Turn Up the Quiet qu'elle a vraiment compris ce qu'elle avait envie de faire.

Le 16 novembre dernier, jour de son 52anniversaire, elle s'est mise à écouter des bandes témoins des leçons de piano que lui avaient données Jimmy Rowles et Ray Brown alors qu'elle était à peine sortie de l'adolescence.

«Plutôt que de faire un autre disque orchestral ou un disque thématique, comme mon disque de bossa-nova, ça m'a convaincue de faire un vrai disque de jazz où je pourrais faire appel à trois groupes différents de musiciens, explique-t-elle. Je pense que ce fut une bonne chose.» 

«Ça illustre ce que je peux faire aujourd'hui comme artiste de jazz sans répéter ce que j'ai déjà fait.»

Il y a parmi les musiciens qui l'accompagnent sur ce nouvel album des complices de toujours aussi bien que le guitariste Marc Ribot, qui a joué pour la première fois avec elle sur son album Glad Rag Doll en 2012, le violoniste bluegrass Stuart Duncan, qui l'accompagne sur scène depuis quelques années, et un nouveau venu, le bassiste Tony Garnier, qui joue depuis longtemps avec Bob Dylan.

Le même Dylan qui, tout nobélisé soit-il pour l'importance de ses chansons, a consacré ses cinq derniers CD à des standards de la grande chanson américaine, enregistrés au studio Capitol de Los Angeles, là même où Diana Krall a fait son nouvel album.

«Je comprends tout à fait sa démarche, lance-t-elle. Il n'a pas fait simplement un album de standards parce que c'est la chose à faire quand on vieillit. Il a grandi avec cette musique. Il a beaucoup été influencé par Billie Holiday, comme on le voit dans le film No Direction Home de Scorsese et, dans son livre Chronicles, il parle de l'importance de cette musique qui jouait dans les cafés du West Village de New York qu'il fréquentait.

«Ce qu'il a fait est brillant, renchérit-elle. Comme il n'y a pas de piano, ce n'est donc pas un ensemble de jazz, et les arrangements de cuivres font référence aux enregistrements de Frank Sinatra. Il ne joue pas au chanteur de cocktail martini à la Dean Martin ou à un personnage d'Ocean's Eleven. J'ai pleuré en écoutant certaines de ces chansons tellement j'avais l'impression qu'il chantait juste pour moi. Comme Sinatra.»

Diana Krall amorcera bientôt une nouvelle tournée aux États-Unis qui se poursuivra en Europe à l'automne. On devrait la revoir à Montréal vers la fin de l'année.

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JAZZ. Turn Up the Quiet. Diana Krall. Verve/Universal. En vente le 5 mai.

IMAGE FOURNIE PAR VERVE/UNIVERSAL

Turn Up the Quiet, de Diana Krall