À 40 ans, Martha Wainwright entrevoit enfin la possibilité que son talent soit reconnu par un plus vaste auditoire. Coup sur coup, la radio publique américaine NPR lui a consacré un reportage élogieux et elle a participé à une diffusion sur Facebook en direct du New York Times le soir de l'élection américaine, avant de chanter le lendemain au Tonight Show de Jimmy Fallon puis de se retrouver sur le plateau de Tout le monde en parle.

Chez Guy A. Lepage, Martha avait accroché à ses vêtements une toute petite phrase qui en disait long sur l'état d'esprit de cette jeune femme qui possède la double nationalité américaine et canadienne: «Fuck the president». Son pianiste Thomas Bartlett lui avait suggéré, compte tenu des circonstances, de chanter chez Fallon sa chanson Bloody Mother Fucking Asshole, mais elle savait que jamais on ne la laisserait reprendre à la télé ce brûlot écrit pour son père il y a une dizaine d'années.

«Ils l'auraient coupée et auraient étiré l'interview avec la petite actrice, nous disait-elle jeudi après-midi dans sa maison d'Outremont. Or je voulais que cette journée soit également à propos de mon disque et pas seulement à propos de ce fucking asshole. Mais peut-être que j'aurais dû afficher un slogan du genre «Appuyons Planned Parenthood» [un regroupement de planification familiale aux États-Unis]...»

Depuis mardi dernier, Martha se réjouit encore plus d'habiter Montréal, où elle est revenue en partie pour que ses fils puissent aller à l'école en français. Elle tenait également à renouer avec ses racines en vivant dans la maison que sa mère, Kate McGarrigle, lui a léguée.

La mort de Kate l'a beaucoup touchée. Comme elle le chante dans Franci, une chanson de son nouvel album Goodnight City écrite pour son jeune fils, Martha ressemble beaucoup à Kate. Si, pour son album précédent de chansons bien à elle, le bien nommé Come Home To Mama, Martha s'était abandonnée à la musicienne et réalisatrice Yuka Honda, c'est, dit-elle aujourd'hui, parce qu'elle était encore très blessée par la mort de sa mère. «J'avais des chansons, mais pas l'énergie suffisante et j'avais vraiment besoin qu'elle prenne ma voix et qu'elle sculpte un univers.»

Écrire pour Martha

Son album Goodnight City, salué dès sa sortie comme son meilleur disque en carrière, mise également sur l'apport de collaborateurs qui, cette fois, lui ont écrit six chansons qui lui vont comme un gant. Des artistes comme son frère Rufus, sa tante Anna McGarrigle et sa cousine Lily Lanken, Glen Hansard, Beth Orton, Merrill Garbus de tUnE-yArDs et même le romancier canadien Michael Ondaatje, un fan de Martha, qui lui a écrit un texte joliment mis en musique par le pianiste Thomas Bartlett.

«J'ai moins ressenti la pression d'écrire 12 très bonnes chansons, ce qui est difficile, mais ces chansons me représentent bien à ce moment-ci de ma vie. Et elles montrent aussi que je suis une bonne interprète qui peut jouer avec sa voix.»

Ça, tous ceux qui connaissent Martha Wainwright le savaient déjà. Qu'elle chante Piaf, Josephine Baker, Barbara ou sa mère Kate, Martha est une interprète éblouissante d'intensité qui joue ses chansons autant qu'elle les chante.

«J'ai une nouvelle confiance dont je manquais peut-être avant. Ça vient peut-être du fait que je suis mère de deux enfants: il faut être une force pour eux.» 

«Je suis plus centrée dans ma vie aujourd'hui. Peut-être que je ne suis pas faite uniquement pour être une artiste. Je ne suis pas un bourreau de travail et je ne me suis jamais sentie confiante à 100 % comme artiste. Il manquait quelque chose dans ma vie.»

Si elle a fait appel à des connaissances pour lui écrire la moitié des chansons de son album, c'est aussi, avoue-t-elle, qu'elle veut tirer profit de la popularité de ces artistes, qui sont pour la plupart mieux connus qu'elle.

«Habituellement, quand quelqu'un écrit une très bonne chanson, il la donne à Rihanna ou il la garde pour lui-même. Mais ces six chansons que j'ai choisies, les artistes m'avaient vraiment en tête quand ils les ont écrites. Le meilleur exemple est sans doute Rufus, qui a écrit une chanson pour mon fils Francis. Il aimait tellement sa chanson qu'il m'a dit qu'il la chanterait lui-même si je n'en voulais pas.»

Une autobiographie

Récemment, Martha a également consacré beaucoup de temps à la rédaction de son autobiographie intitulée Stories I Might Regret Telling You.

«Tous ceux qui font des disques écrivent des livres ces jours-ci parce que les disques ne se vendent plus, explique-t-elle. Mais le mien est différent parce que je ne suis pas énormément célèbre ni très vieille. C'est l'histoire d'une femme qui a trimé pour réussir.»

En lisant l'autobiographie de ses tantes Anna et Jane McGarrigle, elle a retenu qu'il n'était pas nécessaire de blesser qui que ce soit quand on écrit un livre.

«Mais comme l'indique le titre de mon livre, je suis toujours sur un fil et peut-être que je vais en dire trop. C'est probablement pourquoi j'ai obtenu le contrat du livre. Je vais sûrement couper quelques ponts dans ce livre, mais je suppose que ce sont des ponts que je serai heureuse de couper.»

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Martha Wainwright chantera les chansons de son nouvel album en ouverture de M pour Montréal, ce soir au Théâtre Rialto. Joe Grass et Groenland la précéderont sur scène.

CHANSON. Goodnight City. Martha Wainwright. Cadence Music.

Image fournie par Cadence Music

Goodnight City, de Martha Wainwright