Pour marquer les 40 ans du premier album des Séguin et son 60e anniversaire, Richard Séguin lance le coffret Ma demeure et le CD Les classiques. Il nous parle des instruments qui l'ont accompagné et des rencontres qu'ils ont provoquées au fil des ans.

Début janvier 1996, le téléphone sonne dans la maison qu'habite depuis longtemps Richard Séguin à Saint-Venant, dans les Cantons-de-l'Est. Bruce Springsteen est à Montréal, mais ses instruments n'ont pas suivi et il cherche une guitare pour répéter dans sa chambre d'hôtel. Séguin lui prêtera sa Gibson 1956 qu'il récupérera avant le concert solo du Boss à Wilfrid-Pelletier.

«Les premières conversations qu'on a eues c'était autour des guitares, leur provenance, leur âge, se souvient Séguin. Puis on a bifurqué sur Kerouac. Il le connaissait, mais savait plus ou moins tout l'apport de l'héritage québécois sur Kerouac. Quand j'ai rencontré Cabrel pour la première fois, on a également parlé de guitares. Il avait la sienne dans les mains, moi j'en avais une fabriquée au Québec et on a commencé à échanger sur nos instruments.»

Ce lien qui unit les musiciens est encore plus fort dans la tradition folk où on se refile des instruments comme on se passe des chansons. Il y a une quarantaine d'années, Richard Séguin a acheté une guitare Martin à Claude Gauthier. Claude Dubois venait de lancer au Québec la mode des 12 cordes et Séguin s'est servi de cette nouvelle guitare dans plusieurs des chansons du duo qu'il formait avec sa jumelle Marie-Claire: Génocide, Hé Noé!, Le roi d'à l'envers...

«Pour moi, c'était vraiment important d'avoir la guitare de Claude Gauthier. Gauthier, c'était Le grand six pieds, la période des boîtes à chansons, la génération avant nous. C'est avec sa guitare que j'ai écrit notre première chanson Som Séguin qu'on a créée au spectacle Amisqua (pour la nation crie de la Baie-James) où on a rencontré Joni Mitchell, Peter, Paul and Mary et surtout Gérald Godin et Pauline Julien. J'ai dû la vendre quand j'ai traversé une période difficile au début des années 80. Plus tard, j'ai voulu la racheter, mais on ne l'a pas retrouvée.»

Plus récemment, Séguin a donné à Vincent Vallières une autre 12 cordes, la Guild qu'il était allé chercher aux États-Unis à l'époque de Fiori-Séguin. «Si on était des peintres, je dirais qu'on est du même mouvement, Vincent et moi, explique Séguin. C'est un gars de l'Estrie, on a travaillé dans les mêmes studios à Sherbrooke, j'ai écouté son premier album avant qu'il sorte, je suis allé voir ses premiers spectacles. Comme il avait toujours des références très dylaniennes et qu'on partageait cette approche-là du folk, quand j'ai su qu'il n'avait pas de 12 cordes, je lui ai donné la mienne... symboliquement, oui, comme Johnny Cash avait donné sa guitare à Neil Young. L'instrument doit voyager et poursuivre son chemin avec quelqu'un avec qui tu as une filiation.»

Pas un collectionneur

Séguin est convaincu que chaque guitare «suggère des façons d'aborder une chanson». Chacune joue pour lui un rôle précis, de la guitare Emperador des années 60 dont il se sert juste pour le plaisir de jouer - «Peut-être que j'y retrouve un plaisir d'origine», dit-il - à sa guitare patchwork qu'il garde dans son atelier de gravure à Saint-Venant.

Chaque instrument de musique a sa petite histoire et évoque des souvenirs précis. Pas étonnant que vers l'âge de 28 ans, Séguin ait décidé de rapatrier le violon de son grand-père Samuel et l'accordéon de son père Lucien pendant que sa soeur Marie-Claire se retrouvait avec le piano familial. Ces instruments, qu'il utilise peu, sont des témoins de la filiation qui a fait de lui un musicien. Mais Séguin n'est pas un collectionneur. Outre les instruments qu'il a apportés à La Presse, il possède trois ou quatre guitares, dont une Telecaster 1976, et des instruments de l'époque des Séguin, comme un violoncelle. «Si l'instrument ne joue pas, t'es mieux de ne pas le garder», dit-il simplement.

Une guitare mythique

Son ancien guitariste Jeff Smallwood, lui, est un fanatique d'instruments. Il connaît leur histoire et sait où aller les chercher. «Pendant les tournées des années 80-90, c'est lui qui nous dénichait des guitares», rappelle Séguin.

C'est Smallwood qui est allé chercher à Nashville la Gibson 1956 que les musiciens et les techniciens de la tournée Aux portes du matin ont donnée à Séguin au début des années 90. «Jeff disait qu'il fallait absolument que j'aie une guitare mythique, une Gibson, et le jour de mes 40 ans, lors de mon dernier rappel, cette guitare est littéralement descendue sur scène comme un rideau. Je fais toutes mes tournées avec cette guitare-là, c'est celle qui me sert le plus.»

Étrenner un nouvel instrument a quelque chose d'intimidant, confie Séguin: les premières marques sur la guitare, les coups de pick... «Moi, la façon dont je me l'approprie, c'est en y collant tout de suite du gaffer tape qui me permettra d'y serrer mes picks. Mes luthiers n'aiment pas tellement ça...»

Chez le luthier

Pour Richard Séguin, la guitare, et par extension tout instrument de musique, n'a pas qu'un rôle utilitaire. Quand il se sentait emporté dans un tourbillon et qu'il s'éloignait de l'essentiel, il trouvait refuge chez son luthier Michel Fournel, celui-là même qui a mis plus de deux ans à remonter une guitare de Félix Leclerc abîmée par une inondation.

«J'arrivais chez lui le matin, je m'assurais que je ne le dérangeais pas puis je m'installais et je changeais des cordes. Je regardais comment il travaille son bois et moi je polissais des guitares dans l'atelier. Je voyais le monde entrer, chacun parlait de son instrument, de ses propriétés, de ce qu'il voulait jouer. Les luthiers, c'est du monde qui travaille en silence, on n'échangeait pas tellement. Mais d'être dans cet environnement, de humer l'odeur du bois et des vernis, ça me ramenait à l'amour de l'instrument, à la première passion que j'ai éprouvée en écoutant le son

Les instruments de Richard Séguin

GUITARE EMPERADOR 1964-1965

«La guitare des Séguin et même d'avant. Mon père m'avait acheté ma première guitare au Miracle Mart, mais ce n'était pas jouable. Par la suite, je suis allé me chercher cette guitare à cordes de nylon. Pour l'époque, c'était une bonne guitare. Je la trouve encore bonne: elle a traversé toutes les saisons alors que la plupart des guitares espagnoles craquaient en hiver. C'est une guitare qui accompagne les conversations, c'est facile à jouer.»

GUITARE GUILD 1975

«Je suis allé chercher quatre guitares Guild à l'entrepôt de Westerly au Rhode Island en 1975, à l'époque de Fiori-Séguin: une 12 cordes et une 6 cordes pour Serge Fiori et, pour moi, une 6 cordes que je me suis fait voler, et cette 12 cordes que j'ai donnée à Vincent Vallières. Elle m'a souvent accompagné en spectacle, quand on a fait l'album Deux cents nuits à l'heure et au début des années 80, avant Double vie.»

GUITARE TAKAMINE 1986

«La guitare des tournées Journée d'Amérique et Aux portes du matin. Un bon outil fiable, mais pas une guitare de collection, donc je pouvais me permettre de la changer un peu. Elle était dans mon atelier de gravure et j'ai décidé de la décorer comme ça au début de l'année pour mes 60 ans, avec des photos tirées d'un petit livre qu'on vendait en tournée. C'est ma guitare patchwork

GUITARE GIBSON 1956

«Les techniciens et les musiciens de la tournée Aux portes du matin m'ont donné cette guitare que Jeff Smallwood était allé chercher à Nashville. Elle a un son extraordinaire en studio. La compagnie Boucher veut faire une sélection de 25 guitares qui ont appartenu à des gars comme Rivard et moi et ils m'ont dit: "On ne peut pas faire ton modèle sans imaginer du gaffer tape." C'est ce qu'ils ont fait!»

GUITARE BOUCHER CHERRY GOOSE 2006

«La plus récente, c'est avec elle que je travaille en tournée et en studio. Une guitare de très bonne qualité, fabriquée ici à Montmagny, par Boucher, les successeurs de Norman. Ils l'ont fabriquée selon mes spécifications: le manche, qui ressemble à celui de ma Gibson, la couleur, la sorte de bois. Du beau travail de lutherie.»

VIOLON, TCHÉCOSLOVAQUIE 1936

«C'est le violon de mon grand-père Samuel «Som» Séguin qui est arrivé du Wisconsin à 10 ans. On ne mesure pas tout de suite l'influence que ta famille peut avoir sur ton parcours, mais je dis toujours aux gens de laisser traîner des instruments dans la maison, peut-être que les jeunes vont en prendre un et qu'une passion va naître. On vivait dans l'est de Montréal, mon père ne faisait pas un gros salaire, mais la musique transcendait toutes les difficultés qu'on pouvait avoir. Je me suis servi de ce violon uniquement pour une chanson de mon dernier album, À quoi bon courir? dans laquelle mon grand-père m'apparaît en rêve.»

ACCORDÉON HOHNER 1942

«Je tenais à garder l'accordéon de mon père Lucien. Je m'en suis servi dans mon spectacle solo tout de suite après Microclimat pour accompagner le poème Art poétique de Gaston Miron. L'accordéon était comme une présence sur la scène dès le tout début du spectacle. Je n'en joue pas beaucoup, mais je l'apporte au chalet dans le bois avec ma guitare acoustique dès les premières vapeurs de l'été.»

MANDOLINE GIBSON 1952

«Cette mandoline de 1952 marque mes 60 ans. Je l'ai reçue en cadeau d'Hugo Perreault et de Simon Godin cette année après la tournée De colère et d'espoirs. Simon et Hugo jouent tous deux de la mandoline. Quand tu composes avec une mandoline, ce que je n'ai jamais fait, tu simplifies tellement la forme, encore plus qu'à la guitare. Forcément, ça va être plus mélodique. J'ai hâte.»

HARMONICA HOHNER 580 MEISTERKLASSE 2010

«J'ai découvert l'harmonica, à 14 ans, sur la face B du 45-tours Daydream des Lovin' Spoonful qui s'intitulait Night Owl Blues. C'était un blues incroyable mené à l'harmonica que je faisais tout le temps jouer dans le jukebox. Puis j'ai découvert le Paul Butterfield Blues Band et John Mayall. Je me souviens d'avoir fait un solo d'harmonica dans Le train du nord en première partie de John Mayall. Fallait que je sois arrogant. Ou innocent.»