Femme forte, femme indépendante, femme de tolérance et d'ouverture, femme engagée pour l'émancipation de ses consoeurs, femme de coeur. Khaira Arby aime aussi cette idée d'être un pont entre les touaregs du désert, les bambaras ou les sonrhaïs de l'Afrique noire, tous réunis dans ce même bouillon de culture : Tombouctou où elle vit et vivra, bon gré mal gré. Mal gré par les temps qui courent...

Le sang du Nord et du Sud coule dans ses veines subsahariennes. Mélodies et rythmes du Nord et du Sud hydratent sa musique comme une oasis. Khaira Arby est à l'image d'une culture de métissage et de tolérance... actuellement menacée par la mouvance djihadiste qui vient de prendre le contrôle militaire de Tombouctou et y impose la charia.

Lorsqu'on la joint, Khaira Arby est en route pour Atlanta. La chanteuse malienne tourne en Amérique depuis un moment, elle sera de passage à Montréal. Elle en sera à sa troisième escale : Pop Montréal en 2010, FIJM en 2011 devant plusieurs milliers de spectateurs séduits par ses rythmes et inflexions hybrides, et puis ce lundi à la Sala Rossa.

Questionnons-la d'abord sur cette vie de musique qu'elle aime tant.

«Je viens chez vous avec une formation entièrement malienne. Guitares, calebasse, batterie, tende, ngoni.  Je chanterai entre autres le contenu de l'album Timbuktu Tarab (étiquette Clermont Music). J'en prépare un nouveau, d'ailleurs, que je compte finaliser au Sénégal. J'ai déjà enregistré quelques morceaux à New York, d'autres sessions de studio sont prévues à Dakar. J'avais enregistré mon tout premier là-bas et j'aime le son de ce studio. Mon réalisateur français partage cet avis. L'album sortira en 2013.»

Entre blues berbère du désert et groove ouest-africain, la manière Khaira Arby reste toujours ouverte, d'où ces accents funk et reggae.  Un pied dans le désert et l'autre dans la végétation luxuriante ?

«Vous ne vous trompez pas du tout, approuve-t-elle en riant de bon coeur. Depuis très longtemps, la musique est métissée chez nous. La musique n'a pas de frontières, je m'exprime dans cet esprit.  Chez moi, au nord du Mali, toutes les ethnies se retrouvent : un touareg se marie une sonhraï,  un sonhraï se marie avec une bambara, et ainsi de suite. Moi, j'ai des liens avec toutes ces communautés.»

Non seulement a-t-elle tissé des liens, mais encore assume-t-elle son rôle rassembleur et sa fonction critique. « Dans mes dernières chansons, rappelle-t-elle, je parle de paix, de valeurs familiales, d'amour. Et je parle des femmes. Je n'aime pas la violence faite aux femmes et aux jeunes filles. Oui je fais partie des pionnières du féminisme à l'africaine. Il n'y a pas si longtemps, les femmes chez moi n'avaient pas le droit d'aller à l'école, de parler publiquement, de monter sur une scène, faire des chansons ou assumer d'importantes responsabilités publiques. Aujourd'hui, Dieu merci, les choses se sont améliorées .»

Or, cette avancée pourrait s'effriter très rapidement dans le contexte actuel. Tombouctou est tombé aux mains de groupes islamistes armés, particulièrement l'organisation Ansar Edine menée par le touareg Iyad Ghaly, et Aqmi, une branche de la mouvance Al Qaeda sous la direction d'Abou Zeid. Dans la région, le climat politique était déjà fragile; des Touaregs revendiquaient l'autonomie du territoire saharien en zone malienne. Les cartes viennent de se mêler davantage : le Front national de libération de l'Azawad (FNLA), un mouvement laïque touareg, vient d'être balayé du portrait par les islamistes... que l'armée malienne n'a pu neutraliser, ce qui a d'ailleurs déclenché un putsch militaire au Mali. La confusion, dites-vous ?

Déjà en tournée lorsque le vent a tourné dans sa région, Khaira Arby a ressenti les secousses à distance. On la sait très inquiète.

« Cette situation me trouble. Beaucoup, même. J'ai des parents qui ont vécu des choses terribles! Alors je dédie ma tournée américaine à la résolution du conflit. Je lance un cri du coeur à la communauté internationale pour aider le nord du Mali. Ma position est simple : je suis pour la paix, je veux que les esprits se calment. Je souhaite sincèrement que l'on fasse marche arrière et revenir comme avant. Je ne veux pas de divisions entre nos frères et nos soeurs.  Nous étions unis au Mali, le Nord et le Sud fonctionnaient bien ensemble. Pourquoi ces divisions? Je ne peux donner la réponse... c'est difficile à comprendre.

« Bien sûr, il me faudra rentrer à Tombouctou, c'est une obligation. J'aime ma ville, ma région, mon pays, mes enfants, mes frères, mes amis, ma culture. »

Khaira Arby se produit ce lundi à la Sala Rossa, 20h. Elle sera précédée de Pat Jordache.