Ce fut un soir de variété grand luxe pour reprendre une expression chère à Isabelle Boulay. Variété grand luxe en toute américanité, sans négliger pour autant un réel ancrage dans la chanson française d'Europe. Quelques mois près la parution du très bel album Les Grands espaces, la chanteuse populaire faisait jeudi sa rentrée montréalaise après avoir «rodé son spectacle en France», nous a-t-elle confié non sans humour.

En ce jeudi soir de spectacle à l'Olympia où elle se produisait également vendredi, elle était de noir vêtue. Entourée chaleureusement de cordes acoustiques, électriques, accordéon, elle a sévi au centre d'un proscenium éclairé à sa base et alternant les couleurs selon les thèmes évoqués. La chanteuse a choisi d'y présenter un répertoire très varié, de la country naïvement écrite à la grande chanson francophone en passant par quelques classiques du répertoire américain.

Bien qu'on puisse se questionner sur la pertinence de ratisser aussi large et d'ainsi présenter un répertoire qui manque parfois de cohésion vu les écarts de styles et de niveaux de langage, on finit toujours par s'en remettre au raffinement et la grâce d'Isabelle Boulay. Chanteuse populaire pour les meilleures raisons!

On ne se formalisera certes pas d'un petit trou de mémoire attribué au décalage horaire dans l'interprétation de Fin octobre début novembre, qui suivait le départ en douce d'Amitié et le décollage tonique des Grands espaces. Et nous voilà en France avec Souffrir par toi n'est pas souffrir, d'Étienne Roda-Gil et Julien Clerc. On se déplace alors un tantinet, soit en territoire franco-québécois avec Je t'oublierai je t'oublierai,  servie en mode country pop. La chanson, explique la principale intéressée, avait été créée par Luc Plamondon et Richard Cocciante à l'époque où elle oeuvrait dans Starmania.

Isabelle évoque ensuite «le souffle d'Amérique profonde», ses ouvriers, ses ouvrières et ces hommes qui écrivent selon elle les plus belles chansons d'amour. «La plus belle déclaration d'amour, c'est Richard Desjardins qui l'a faite», déclare-t-elle avant d'entonner cette «chanson d'homme destinée à une femme» et... chantée par une femme en mode country folk: Jenny. Dans la même optique, elle poursuit avec Ô Marie, chanson de Daniel Lanois où le narrateur incarne un travailleur agricole échoué aux récoltes du tabac. Le tout servi avec accordéon, guitare électrique, percussion plus baraquée. On restera dans les lanoiseries franco-ontariennes avec Jolie Louise, l'histoire d'un homme modeste qui a perdu ses moyens et... sa Louise.

La prochaine destination est tout indiquée: «Je vous emmène au pays de mon enfance, le pays de la dignité humaine, le pays de la musique country».  Et s'expriment vachement les guitares et la basse (Martin Bachand, Éric Sauviat), le violon (Francis Covan), la batterie (Michel Roy) et cette voix parfaite de la soliste dans un tel contexte. On commence le périple avec la très applaudie Guitare Cadillac version d'une chanson de Dwight Yoakam par Gerry Cormier, suivie d'Un amour qui ne veut pas mourir, classique de Renée Martel assorti d'un scat interactif avec les dames de l'auditoire. Auditoire adulte avec fort contingent d'âge mûr, force est d'observer.

Et c'est l'occasion de chanter Je suis triste mille après mille je m'ennuie... et les rimes de Gerry Joly seront reprises à l'unisson dans la salle. Le cycle country du spectacle se poursuit avec une incontournable du répertoire country: Crazy, mégatube de Patsy Cline. L'approche en est une de torch singer, question de préparer le terrain pour une autre incontournable, cette fois plus proche de la soul: At Last d'Etta James. Puis on calme le jeu avec une version folk de Can't Help Falling In Love d'Elvis, violon et guitare acoustique à l'appui.  

On fait un autre saut en Europe francophone avec cette interprétation d'Amour aime aussi nous voir tomber, superbe chanson de Jean-Louis Murat écrite pour Isabelle, chantée sur un tabouret, excellent groove folk rock à l'appui, avec solos de guitares et violons. Et hop en Amérique, Entre Matane et Baton Rouge, une autre country qui précède Tout peu changer, avec tempo trottinant et touche cajun.

S'ensuit un duo avec Michel Roy: True Blue de Dolly Parton, «une des plus grandes chansons écrite par une femme pour un homme», et ce, par «une des femmes les plus impressionnantes» avec qui elle a enregistré au Tennessee.  Après avoir généreusement présenté ses musiciens, elle interprète Mieux qu'ici bas et Parle-moi façon folk pop, avec montée d'intensité en finale.

Deux rappels rappelleront les orientations multiples de ce répertoire préconisé par Isabelle Boulay dans son nouveau spectacle: Perce les nuages de Paul Daraîche et Dis quand reviendras-tu? de Barbara, entrecoupés d'un air hispanophone. Quelque part entre Paris, Montréal, Nashville et la Gaspésie... se trouve le pays d'Isabelle.