Il a beau nous balancer des blues imaginés pendant la guerre de Sécession, il a beau préconiser un jazz primitif qui remonte au tournant du siècle précédent, ses musiques les plus modernes ont beau dater des années 50 et 60 sauf quelques pointes de hip hop, Bernard Adamus n'en arrive pas moins à se donner fière allure... de 2012.

De surcroît, à galvaniser un auditoire majoritairement constitué de Québécois francophones dans la vingtaine et la jeune trentaine. En soi, tout un exploit.

En deux albums et deux cycles de tournée, le mec a mis au point un solide alliage party-substance, quoique la substance soit vachement arrosée par le party. En tout cas, c'est patent sur scène, paradoxe comparable à tant de virées signées Plume Latraverse ou feu Dédé Fortin. Qui plus est, la fièvre du vendredi a fait sauter le thermomètre du Club Soda et asséné un coup magistral au coeur francophone. L'ambiance n'était vraiment pas propice à la prise de tête... on a plutôt opté pour la levée de coude!

Adamus a décollé avec Y fait chaud, l'harmonica et la guitare blues du chanteur ont ouvert les vannes d'une instrumentation peu commune dans la chanson keb : paire de trombones (Benoît Paradis et Renaud Gratton), trompette (Jérôme Dupuis-Cloutier), sousaphone (Philippe Legault), claviers (surtout Jérôme Dupuis-Cloutier), batterie (Sylvain Delisle), joués avec grande intensité et cohésion exemplaire.

La nappe était dressée pour La diligence, suivie du Problème avec solo de trombone servi sur le pont de la chanson. Quand Adamus s'est alors informé de l'état de la salle, filles et gars ont manifesté leur joie bruyante. Tellement bruyante, d'ailleurs, qu'une bonne partie de la salle avait oublié d'écouter les sympathiques Frères Goyette en première partie. Pour la génération Nintendo, avons-nous constaté une fois de plus, le déficit d'attention est un virus très difficile à éradiquer.

«Ça bouillonne dans mes neurones / Quand j'entends parler Bernard Derome», chante alors l'artiste, sur un stomp qui rappelle un band néo-orléanais en croisière sur le Mississippi, lorgnant vers les bluesmen qui en peuplent les rives: Avec les doigts de ma main. Dans la salle, la fête est à son comble, chacun avale à grande gorgées les rimes syncopées et les bêlements bien sentis d'un interprète en feu.

Occasion d'en remettre avec cette Chanson à l'huile, marquée par un élan jazzy étonnamment moderne et d'un solo fervent du sousaphoniste. On se trouve ensuite dans les brumes de Fulton Road, parcourue avec claviers en prime.  Blues aux accents southern funk et hip hop folk, Le fou de l'île est l'occasion de lâcher son fou, pas à peu près. Après quoi on se roulera dans la reprise très fanfare-polka-jazz de La foule (Piaf), carrément hurlée par Bernard Adamus. Le chanteur calmera ensuite les pompons avec sa version française de Damn Shame signée Jolie Holland, artiste américaine de même cousinage esthétique.

«Chers amis, j'ai écrit une chanson pour mes très chers amis», et voilà 2176, offerte en soliloque. On se trouvera  plus tard sur les Chemins du doute, blues-hésitation d'un narrateur rongé par devinez quoi. Qu'à cela ne tienne, Brun (la couleur de l'amour) remettra la bonne humeur au menu de la soirée, avec son rythme traînassant, sa vieille structure bluesy, coiffée d'un redoutable accelerando en fin de parcours. Entre ici pis chez vous, conte de tournée tiré du récent album (No 2), démarre sur un rock pianistique à quatre mains et débouche sur un presque funk.

«Y a du beau monde à soir au Club Soda!» s'exclame notre hôte, comblé par l'indiscutable succès de sa prestation.

L'envolée jubilatoire se poursuivra avec Cauchemar de course, virée au paradis qu'aurait pu entonner jadis Cab Calloway. Et puis c'est la visite au Cimetière... d'un coeur mal aimé, séquence de guitare country-blues assortie d'une réplique cinglante des cuivres. La question à cent piasses est le moment de scruter ce qui reste au fond des poches et des bouteilles... pendant que l'intensité atteint son paroxysme dans la salle. On a ensuite droit à un blues plus urbain, déconstruit à la Tom Waits  et traversé par une méchante séquence d'impro collective : Ouais ben. Plus rapide, plus légère, Arrange-toi avec ça ferme les livres avant les rappels : deux incontournables, Rue Ontario et Le scotch goûte le vent, bouclent la boucle d'un spectacle à la hauteur des attentes. Attentes très élevées, il faut le rappeler.

Adamus mirabilis!