Le rappeur Koriass publie ce vendredi son sixième album, Abri de fortune (pour fin du monde), dans lequel il aborde de front les « démons » (problèmes de consommation, infidélités, etc.) qui ont davantage nourri les conversations que sa musique depuis quelques années. Discussion franche avec l’un des juges de l’émission La fin des faibles, dont la deuxième saison est diffusée depuis mardi à Télé-Québec.

Marc Cassivi : Le repentir et la rédemption sont des thèmes récurrents de ton album. Tu parles de tes problèmes de consommation, du fait que tu as été un « mauvais exemple », de ce qui est moins glorieux – « J’ai brisé des amitiés, des cœurs et des promesses/Y me reste encore des années pour les erreurs que j’ai pas faites », dis-tu sur 3e Avenue.

Koriass : Mon parcours personnel teinte ce que je crée. C’est assez transparent, ce que j’écris. Il n’y a pas de filtre ni de bullshit. Il y a une quête de vérité dans ma vie en général, mais aussi dans mon art. J’essaie de créer le plus honnêtement possible. Et j’essaie aussi de moins penser au public.

M. C. : Tu essaies moins de plaire ?

K : Oui, il y a des choses que j’ai faites dans le passé pour plaire. Je me suis mis des bâtons dans les roues parfois, créativement, parce que je voulais atteindre certains objectifs, notamment passer à la radio. J’ai encore cette envie, mais en même temps, il y a quelque chose que je méprise là-dedans, parce que je pourrais vraiment rentrer dans des standards commerciaux précis, avec un refrain accrocheur, par exemple. J’ai déjà pensé un peu trop à ça, mais moins pour cet album-ci. Il y a la chanson Corde à linge qui passe à la radio. Ça ne va pas cartonner au numéro 1, parce que ce n’est pas dans les standards radio qui sont plus convenus, justement.

M. C. : C’est aussi une chanson qui parle de rédemption – « Pas de tarif pour les dommages de mon sabotage ».

K : C’est un mot qui s’applique bien à l’album. C’est une quête de paix intérieure. Comment je réagis aux évènements extérieurs. Peu importe ce qui arrive, je ne vais pas tomber dans le drame personnel. J’essaie de handle mon shit le plus que je peux. Je m’inspire de la philosophie orientale dans mon quotidien. J’essaie de dealer avec le plus de sagesse et de calme possible.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Koriass

M. C : Tu es plus zen à 38 ans que tu l’étais à 28 ans ?

K. : Absolument ! J’ai été beaucoup l’artisan de mon propre malheur dans mon parcours, en criant que je suis une victime ou en victimisant les autres. Je me rends compte que je peux juste contrôler comment je gère la situation, peu importe laquelle se présente devant moi. Je pense que mon but ultime, autant que de devenir le meilleur artiste possible à mes yeux, c’est de devenir la meilleure personne possible. C’est vraiment un objectif réel de vie. Je veux juste m’améliorer en tant que personne. Et j’ai juste envie d’avoir des gens gentils autour de moi.

M. C. : J’ai noté certaines de tes paroles : « Le rap, c’est pas fait pour un fils de riche »…

K. : C’est très arrêté comme statement ! (Rires) Des fois, il faut que je le dise comme ça. C’est la culture du hip-hop. Je ne dis pas que j’ai le vécu le plus rugged, mais j’ai vécu des choses assez rock and roll dans ma vie. J’ai l’impression que pour être un artiste intéressant, parfois, il faut avoir en soi quelque chose d’un peu brisé. Ça fait un fuel supplémentaire dans la création. Mais tu peux être un artiste merveilleux sans ça aussi. C’était juste une réflexion que j’ai couchée sur papier ! (Rires)

M. C. : Quel est ton rapport au rap québécois ? J’ai aussi noté ça : « Saoulé par ces rapper queb, troublé par ce rap de merde ». (Rires)

K. : Ça reste du jeu ! Il y a eu une période où ça m’atteignait, le succès des autres. Mais je n’ai plus tant ça en moi. Dans tous les domaines, il y a de la compétition. C’est encore plus marqué dans le rap parce que ça fait partie intégrante de la culture : le brag, se vanter, etc. Je me suis assagi. Quand j’en parle sur l’album, c’est plus le personnage arrogant que la réalité.

Je perçois le succès et les exploits des autres comme quelque chose qui va m’aider moi aussi. J’essaie vraiment de me débarrasser de tout ce qui peut parasiter ma création, parce que ça peut vraiment couper l’inspiration. Il y a quelque chose de malsain là-dedans.

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M. C : Parce qu’il y a toujours ça dans le fond : le personnage de Korey Hart, qui est ton alter ego. En même temps, les thématiques que l’on retrouve sur l’album sont tes propres préoccupations. Ce sont des choses que tu as vécues…

K. : Oui, ça reste très égocentrique, le rap que je fais, même si c’est ouvert sur le monde et sur ce qui se passe. Je parle de moi et de ma vie, de mes problématiques, de mes réalités.

MC : Tu parles aussi de tes filles (« J’ai fini d’éviter les regards et de feeler bizarre/Tu pensais que j’étais mort dude, arrête de sniffer du gaz/Ma job c’est d’élever des fillettes et sortir des records », sur Village des valeurs). On sent, notamment sur les réseaux sociaux, l’importance que tu accordes au fait d’être présent pour elles.

K. : Ça a peut-être rapport avec le fait que mon père est parti avant que je naisse. Ce sont des conversations que j’ai avec mon psy ! (Rires) Très vite, j’ai voulu m’arrêter à faire une famille et des enfants. Peut-être un peu trop vite dans ma vie. Mes filles sont une bénédiction. Ma plus vieille chante sur trois chansons de l’album. Elle fait des chœurs.

M. C. : Tu as un rôle de mentor à La fin des faibles. Comment perçois-tu la génération montante ? Ces jeunes artistes auront peut-être la chance d’être plus diffusés à la radio. C’est hallucinant que le rap soit encore si peu présent à la radio, alors que c’est le style de musique qui est le plus écouté en Amérique du Nord.

K. : C’est pour ça que c’est si formidable, La fin des faibles. Une émission purement rap, à heure de grande écoute à la télévision québécoise, qui en est à sa deuxième saison. C’est inespéré. C’est vraiment super pour la promotion du rap et de la culture hip-hop, parce que c’est bien fait. Ç’aurait pu être maladroit ou trop convenu, dans le style de La voix ou de Star Académie, sans rien leur enlever. Ça reste une vraie compétition de rap, avec les critères qu’il faut pour être un bon MC : la créativité, le flow, la présence scénique, les paroles. C’est vraiment un super beau projet. C’est unique. C’est une porte qui s’ouvre pour le rap à la télé grand public.

M. C. : Il y a une chanson sur l’album avec Sarahmée et Souldia, qui sont aussi juges à l’émission. Je sais que le décès de Karim [Ouellet, le frère de Sarahmée] t’as beaucoup secoué…

K. : Ça m’a vraiment fouetté. C’était justement pendant le tournage de La fin des faibles avec Sarahmée, que je connais depuis mes débuts dans le rap. En route vers Québec après le tournage à Montréal, j’ai réécouté ses trois albums. Ça m’a fait retomber dans la nostalgie des bonnes années avec Karim. On a collaboré pas mal. On a fait des spectacles ensemble, avant et après Fox et la montée de son succès. C’est un cliché, mais j’ai fait mon deuil en me remémorant les bons moments. C’est un ami que je n’avais pas vu depuis longtemps, à qui je n’avais pas parlé depuis un bout, comme beaucoup de gens. J’ai mis quelques jours à réaliser qu’il n’était plus là. C’est rare, des gens qui font l’unanimité comme lui le faisait.

M. C. : Sur ton album, tu parles de tes propres fragilités, de tes « démons », de ce qui est moins beau chez toi. Tu puises beaucoup ton inspiration dans ces zones plus sombres ?

K. : Il y a certaines émotions, certains états d’esprit, qui existent à cause des moments difficiles, des traumatismes du passé. Ça m’aide plus qu’autre chose d’en parler, de l’utiliser créativement. Je vois plus d’inconvénients à étaler ma vie personnelle sur les réseaux sociaux. Je le fais moins qu’avant. J’essaie d’être plus vigilant. Pas tant pour moi – en fin de compte, mon cul à moi, je m’en fous – que pour les gens autour de moi. Tous les fuck up que j’ai eus dans ma vie et dans ma carrière – on n’en parlera pas –, bien sûr, ça m’a affecté, mais pas autant que mes proches. Je veux les protéger. La mère de mes enfants, ma mère, ma blonde, mes enfants. C’est à eux que je pense.

M. C. : On ne rentrera pas dans les détails, mais tu as vécu tout ça comme un désenchantement ? Tu as développé une méfiance face aux médias, par exemple ?

K. : Un désintérêt, aussi. Je n’ai plus autant d’intérêt à me surexposer. Il y avait une espèce de soif de ça, d’être overexposé. J’aimais ça. J’ai fait le tri dans ce qui était sain et malsain, dans ce que je voulais dans ma vie. Il y a quelque chose de bon là-dedans. J’ai appris mes leçons. J’ai trouvé ça dommage de constater qu’on ne parlait plus de ma musique, mais d’autre chose. Je suis musicien avant tout. C’est vraiment ça qui est ma passion. Plein d’autres bullshit ont pris le dessus, mais c’est la musique qui est centrale dans ma vie et dans mon cœur.

Abri de fortune (pour fin du monde)

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Abri de fortune (pour fin du monde)

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