La polémique sur les concerts du rappeur français controversé Médine, dans la salle parisienne de spectacles du Bataclan, repose la question du statut de cette scène, cible d'une attaque djihadiste qui a fait 90 morts en 2015. Peut-elle redevenir simple lieu de spectacles ou doit-elle être un lieu de mémoire?

À la réouverture du Bataclan, un an après l'attentat, les patrons avaient clamé leur intention de ne pas faire un «mausolée» de cette salle réputée pour ses concerts rock, pop et rap.

«Notre métier c'est d'amener de la musique, des concerts, des spectacles. C'eût été un abandon de ne pas revenir sur la scène. Cela revenait à la tuer deux fois», avait souligné son codirecteur Jules Frutos, alors que quelques artistes, comme Francis Cabrel ou Nicola Sirkis, avaient fait part de l'impossibilité pour eux d'aller y rejouer. Le leader d'Indochine avait notamment jugé «ignoble de rouvrir cette salle», estimant qu'il fallait «en faire un sanctuaire, un monument».

Depuis la réouverture, la programmation n'avait pas suscité de polémique, jusqu'à l'annonce des concerts du rappeur d'origine algérienne Médine, à qui sont reprochés les paroles d'anciennes chansons comme Jihad (2005) ou Don't Laïk (2015). Dans ce dernier morceau sorti en janvier 2015, une semaine avant l'attentat contre l'hebdomadaire satirique Charlie Hebdo, le rappeur s'attaquait à la laïcité avec des exclamations comme «Crucifions les laïcards comme à Golgotha».

L'annulation des deux concerts, prévus en octobre, a d'abord été réclamée via une pétition lancée par Grégory Roose, ex-délégué départemental du parti d'extrême droite Rassemblement national (ex-FN).

Une demande relayée ce week-end par des élus de droite et d'extrême droite. «Sacrilège pour les victimes, déshonneur pour la France», s'est offusqué sur Twitter le président des Républicains (droite), Laurent Wauquiez.

«Aucun Français ne peut accepter que ce type aille déverser ses saloperies sur le lieu même du carnage du Bataclan», a écrit la présidente du Rassemblement national, Marine Le Pen.

Pour eux, le rappeur de 35 ans ne peut exprimer ses paroles dans une salle visée par un attentat djihadiste. Ses autres concerts n'ont pas suscité de tel tollé.

«Libre de sa programmation»

Dans un communiqué, le rappeur a dit «renouveler (ses) condamnations passées à l'égard des abjects attentats du 13 novembre 2015».

L'extrême droite cherche «à instrumentaliser la douleur des victimes et de leur famille. Allons-nous laisser l'extrême droite dicter la programmation de nos salles de concerts, voire plus généralement limiter notre liberté d'expression?», s'interroge-t-il dans un communiqué.

Life for Paris, l'association de victimes des attentats du 13-Novembre, est venue à la rescousse du Bataclan en soulignant que la salle «a aussi été victime des attentats et qu'elle est complètement libre de sa programmation, sous contrôle de la préfecture de police de Paris».

«Notre association n'est pas un organe de censure, elle est et restera apolitique et ne laissera personne instrumentaliser la mémoire des victimes des attentats à des fins politiciennes, comme c'est le cas dans cette affaire», ajoute le collectif qui regroupe plus de 700 victimes.

«Une telle interdiction offrirait une formidable occasion à ce rappeur de s'ériger en victime de la censure», a argué pour sa part le mouvement laïque Printemps républicain, tout en interpellant les programmateurs: «Nous nous interrogeons néanmoins sur la responsabilité de la direction de la salle «...» Dans un tel lieu de mémoire, la logique purement commerciale ne peut s'imposer, seule, quant au choix des artistes invités à se produire sur scène».

Lundi, le premier secrétaire du Parti socialiste en a appelé au rappeur lui-même : Olivier Faure a estimé que «peut-être Médine devrait se poser la question de savoir si sa présence dans ce lieu qui est devenu hautement symbolique ne justifierait pas une prise de distance».

L'an dernier, le rappeur avait reconnu avoir «eu la sensation d'être allé trop loin» avec le titre Don't Laïk.

PHOTO WIKICOMMONS

Médine