Depuis 15 ans, pour Céline Dion, revenir chez elle, c'est atterrir à Las Vegas. En 2003, René Angélil et elle ont choisi cette ville du Nevada, ses millions de touristes, son énergie électrisante, ses paysages désertiques et ses tables de poker pour y faire leur vie, pas seulement pour y faire carrière. Oui, Céline est une Las Vegan. La nuit, elle règne sur la Strip. Le jour, elle couve ses trois enfants. Let's talk about... Vegas.

Alors que Las Vegas rêve encore, son extravagante mairesse Carolyn Goodman est bien réveillée. Elle s'inquiète de la santé de sa résidante la plus connue dans le monde. La veille (mercredi dernier), Céline Dion a annulé les représentations qu'elle devait donner dans le prochain mois, puisqu'elle souffre d'un trouble à l'oreille pour lequel elle devra subir une opération.

«Qu'elle prenne son temps et qu'elle écoute les recommandations de son médecin, nous l'aimons en santé», dit Carolyn Goodman, dans son immense bureau du vieux Las Vegas.

Deux heures plus tard, au milieu du cristal, des machines à sous et des tapis persans qui empestent la cigarette du Caesars Palace, se trouve Ramona Almirez, une admiratrice qui a vu plus de 500 représentations de Céline à Las Vegas. Soit un spectacle sur deux. Toujours dans les premières rangées. C'est-à-dire au prix de 400 à 500 $ chaque fois.

Elle aussi se préoccupe de la santé de son idole, qu'elle rencontre régulièrement après les représentations pour échanger et prendre des photos.

«J'allais bien sûr être là pour son anniversaire [le 30 mars]... Mais sincèrement, je souhaite surtout qu'elle retrouve la forme», dit la résidante du Nevada, une scientifique à la retraite.

Son amie Christine Despins, une infirmière qui fait beaucoup d'heures supplémentaires pour voir régulièrement Céline sur scène, a commencé à s'inquiéter pour «sa» chanteuse au début du mois de janvier.

«Ramona et moi avions remarqué que quelque chose clochait», dit-elle en montrant une photo d'elles avec la star, dans les coulisses, quelques jours après le Nouvel An.

«Elle a ensuite annulé quelques spectacles, mais elle est quand même revenue un soir, quand Adele était venue la voir. Elle n'aurait pas dû. Ça n'a sûrement pas aidé sa situation», suppose Christine Despins, elle aussi résidante du Nevada.

Si l'opération à son oreille fonctionne, la diva sera de retour sur la scène du Colosseum de mai à juin. Pour l'instant, aucune autre série de spectacles à Las Vegas n'a été annoncée. Le contrat de Céline Dion avec le Caesars Palace arrive à échéance en 2019.

La chanteuse québécoise songe-t-elle à changer de théâtre ? Ou à ne plus chanter à Las Vegas? Silence radio de la part de son équipe.

Par contre, la mairesse, elle, s'exprime! Elle ne peut concevoir que la star quitterait le Nevada. «Je ne veux même pas répondre à cette question! Ce n'est pas une possibilité dans ma tête. Ça n'arrivera pas. Elle a une vie merveilleuse ici, même si je sais que son mari lui manque chaque jour», avance avec énergie Carolyn Goodman, dont la carte professionnelle est un jeton de poker.

Céline a ouvert la voie

«J'irai où tu iras.» Ce fut la philosophie d'affaires du clan Angélil-Dion. Au lieu de s'étourdir dans des tournées internationales, pourquoi ne pas s'établir dans un théâtre? Les gens vont se déplacer pour voir Céline. Parce qu'ils sont des millions à l'aimer. Parce que «c'est Céliiiiine», comme dirait sa soeur Claudette. Un pari risqué, car, à l'époque, Vegas traînait encore une réputation de ville des fins de carrière. Mais cette fois comme tant d'autres, le tandem a joué la bonne carte. Il était là quand la ville a entrepris de se réinventer. Il a fait partie du «nouveau» Las Vegas.

«Céline est unique parce qu'elle a une immense carrière en français et en anglais. Personne d'autre n'a ce pouvoir d'attraction. C'est un des secrets de son succès. Ça lui permet d'attirer des touristes de partout dans le monde. Je le répète: très, très peu d'artistes peuvent faire ce qu'elle fait, sur une aussi longue période», dit le vice-président d'AEG Live Las Vegas, John Nelson.

Dès le départ, ce fut un succès du tonnerre. Le Colosseum, une salle construite entre autres pour la reine de Charlemagne, était bondé. Chaque soir. Cent soirs. Trois cents soirs. Neuf cents soirs. Et vlan, le record d'Elvis Presley était battu. Céline Dion s'approche maintenant de 1100 représentations.

Toute la ville a bénéficié du succès de René et de Céline, selon Mitch Garber, ancien PDG de Caesars. «Tu ne trouveras pas une personne à Vegas qui dira le contraire.»

Dans la «ville du jeu» et la «capitale du vice», trois salles de spectacle peuvent maintenant accueillir les plus grandes vedettes internationales: Zappos Theater, Park Theater et le Colosseum. En résidence, il y a Jennifer Lopez, Lionel Richie, Rod Stewart, Britney Spears, Shania Twain, Cher, Mariah Carey et bien d'autres. Lady Gaga y débarquera d'ici à la fin de l'année, du haut de ses chaussures hallucinantes. 

«Tout ça, les nouvelles salles et les artistes, c'est à cause de Céline.»

Brock Radke, journaliste au quotidien Las Vegas Sun depuis près de 20 ans, acquiesce: jamais ces vedettes ne se seraient montré le bout du nez avant l'ouragan Dion. «Il y avait une mauvaise aura autour d'un artiste qui venait à Vegas. C'était comme d'avouer que sa carrière était sur la pente descendante.»

Il ajoute avec fierté: «Céline nous a permis d'atteindre un autre niveau dans le divertissement. Pensez à ça: le DJ le plus connu dans le monde, Calvin Harris, est ici tous les vendredis soir. Bruno Mars, la plus grande vedette pop en ce moment, est ici régulièrement depuis deux ans», dit le journaliste spécialisé dans les arts et le divertissement.

À propos de l'attrait touristique que représente cette ville, l'ex-dragon Mitch Gerber parle d'un changement radical: «En 2006, 65 % des revenus à Las Vegas provenaient du jeu. Aujourd'hui, c'est seulement 35 %. Le jeu est devenu une raison secondaire pour les touristes. Les raisons principales sont le divertissement et les détaillants.»

Photo Marco Campanozzi, La Presse

Carolyn Goodman, mairesse de Las Vegas

Sa vie dans la communauté

Depuis la fin de l'automne dernier, Céline Dion enregistre son cinquième album de suite au Studio At The Palms, situé dans un hôtel-casino à trois minutes de la Strip. Encore là, la liste des vedettes qui y ont poussé la note est de catégorie A+: Beyoncé, Eminem, Michael Jackson, Usher, Katy Perry... Et aussi, parmi les habitués, la chorale d'une église très populaire du Nevada.

Lorsque la productrice et multi-instrumentiste Zoe Thrall parle de Céline, elle met une main sur son coeur à la mémoire de René Angélil. «Un gentleman tellement intelligent. Quelle perte.»

Au sujet de Céline, elle n'a que de douces pensées: «Sa voix est un cadeau si rare. J'ai énormément de respect pour elle et je ne dis pas ça parce que vous êtes là. C'est si rare», dit Zoe Thrall, qui avance que le studio d'enregistrement figure parmi les meilleurs du monde.

Céline Dion vit dans le chic quartier Lake Vegas, situé assez près de la Strip, mais si loin de cet océan d'enseignes lumineuses et de l'incessant bombardement sensoriel. C'est calme et paisible à Lake Vegas. Il y a un minivillage piétonnier où il fait bon vivre. Une épicerie fine, une plaza, beaucoup de gelato et un bistro qui fait jouer des chansons françaises. Tout est aménagé autour d'un lac artificiel. Et, oui, il est possible d'y faire du kayak.

Une guérite empêche par contre les touristes (et les journalistes!) de visiter la communauté privée où se situe la résidence de Céline Dion. Sa soeur Linda, marraine de ses trois fils, et le mari de celle-ci, Alain Sylvestre, vivent aussi dans ce quartier cossu.

La touche québécoise

Ce ne sont pas les seuls Québécois qui ont suivi Céline dans le Nevada. La chanteuse a sa province tatouée sur le coeur et elle engage beaucoup de Québécois.

«Je sens que pour les postes clés, à compétence égale, elle a une préférence pour les Québécois, explique son directeur musical, Scott Price. Céline parle anglais parfaitement, mais je pense que lorsque ça peut se passer en français, elle aime ça.»

Lorsque Scott Price joue à Las Vegas, il occupe une chambre au Caesars Palace. Parmi la trentaine de musiciens, plusieurs autres font de même. «C'est drôle, mais quand ça fait quelque temps que je suis à l'extérieur de Vegas et que je reviens au Caesars, c'est vraiment comme si je rentrais à la maison», dit-il.

Vivre sur la Strip quatre mois par année, ça doit être... quelque chose, non?

«Oui, c'est quelque chose... Je ne dirais pas le contraire, dit en riant le premier violon, Philippe Dunnigan. D'un autre côté, les chambres d'hôtel sont tellement gigantesques que ce n'est quand même pas si pire. Ce n'est pas la Baie-James! Et ils nous donnent des per diem, en plus d'avoir accès aux cafétérias de l'hôtel. Je me suis même acheté un petit frigo et une plaque de cuisson, donc quand je suis tanné, je me fais à manger.»

Il n'est pas tanné. Surtout parce qu'il a la chance de travailler avec «la grande Céline Dion». Cette voix phénoménale qui «n'a pas de limite», en plus des éclats de rire qu'elle provoque et les larmes aussi.

«C'est comme un cheval de course. Quand ça part, cette affaire-là, ce n'est pas arrêtable.»

Que ce soit lui, Scott Price ou les deux fidèles admiratrices de Las Vegas, ils sont unanimes quand vient le temps de raconter le moment où la diva les a le plus touchés. En janvier dernier, une femme éméchée est montée sur scène pour embrasser Céline et lui parler. La vidéo (filmée par Ramona Almirez!) est devenue virale et a fait le tour du monde. 

«Si je viens aussi souvent voir Céline, c'est à cause de ses interactions avec le public. C'est toujours spécial, elle improvise. Comme là: elle fut tellement gentille avec la femme, c'était très touchant à voir. C'est une vraie gentille», dit Ramona Almirez, originaire des Philippines.

Toutes les personnes rencontrées saluent l'authenticité de la chanteuse. La Céline des admirateurs est la Céline qu'elles côtoient. Céline ne joue pas, elle est. Et c'est un des secrets de sa longévité. «On ne change pas», chante-t-elle depuis 20 ans.

Photo Marco Campanozzi, La Presse

La super fan Ramona Almirez et son amie Christine Despins, elle aussi une grande fan