On avait perdu la trace d'Annette Peacock, évanescente septuagénaire qui fut jadis la jeune épouse du contrebassiste Gary Peacock, la compagne et proche collaboratrice du pianiste Paul Bley, l'objet de moult convoitises et conjectures esthétiques.

En un demi-siècle, cette indomptable créature affirme n'avoir donné qu'une vingtaine de concerts ! En musique improvisée, elle fut une pionnière du chant accompagné par les synthétiseurs, elle fut tour à tour associée à différentes avant-gardes, du free jazz au rock progressif, en passant par le jazz-fusion, la musique contemporaine, l'électro ou le drone.

Qui plus est, cette iconoclaste a exercé une fascination auprès d'artistes visionnaires issus de tous les horizons : sa musique a été reprise, évoquée, jouée, citée ou échantillonnée par autant de pointures comme David Bowie, Mick Ronson, Brian Eno, Bill Bruford, Coldcut, Nels Cline, Ghostface Killah ou Sunn O))).

Sa réclusion de la vie publique a certes alimenté son mythe, bien qu'elle nous permette aujourd'hui de croire à ses apparitions (!), dont une première à Pop Montréal.

Seule au piano et aux claviers, elle compte piger dans sa discographie entière : « C'est plutôt facile de faire des choix intéressants, séduisants, variés, car mes albums sont très différents les uns des autres. Je fais tout en direct, quelques boucles s'ajoutent pour contribuer à la diversité de la proposition », explique la musicienne, jointe là où elle vit, en périphérie de Woodstock dans l'État de New York.

Aussi relatif soit-il, ce retour à la scène est ainsi motivé : « J'ai observé que les auditoires ont beaucoup aimé les concerts que j'ai donnés au cours des dernières années. Et je n'ai plus 40 ans devant moi à attendre le moment propice pour rendre mon art public ! », lance-t-elle en laissant échapper un rire communicatif.

Confiance durement acquise

Les augures seraient donc favorables à la chanteuse, pianiste, claviériste, compositrice, parolière, improvisatrice. L'épreuve du temps aurait été remportée, se réjouit-elle, l'étrangeté de son art serait finalement devenue un atout : « Je m'estime chanceuse, car mes chansons et ma musique ne sont pas représentatives d'une époque précise. Mais, pour moi, ça a toujours été ardu d'innover. Il m'a fallu prendre les bonnes décisions artistiques, trouver des solutions que je croyais justes et honnêtes, mais dont je n'étais pas certaine de la validité. C'est si rassurant de voir que les gens apprécient une oeuvre 20, 30 ou 40 ans après sa conception. Mais jusqu'à ce que cela se produise, il n'est pas simple de toujours avoir confiance en ses moyens. »

Voilà le lot de tous les créateurs évoluant dans la marge et dont l'impact tarde à se produire. Forcément isolés, ils sont habités par le doute. Heureusement pour Annette Peacock, sa coolitude serait en hausse : au cours des trois dernières années, elle s'est produite à New York et aux Pays-Bas, sans compter des concerts donnés à Londres à guichets fermés.

« Les auditoires ont été démonstratifs et attentifs, ça s'est très bien passé ! Ça m'a donné confiance. J'ai l'impression qu'il est désormais moins ardu d'écouter et d'apprécier mon travail. Je me suis préparée toute ma vie à être dans un business au sein duquel je ne me suis jamais vraiment retrouvée ! », ricane notre interviewée.

Une existence simple

Si Annette Peacock a vécu dans l'incertitude de son propre impact, elle a maintenu le cap dans l'isolement. Ce qu'elle semble avoir fini par apprécier.

« Je ne suis pas carriériste, je n'ai pas cette ambition, et je n'ai pas les besoins matériels de la personne moyenne. Mon hypothèque me coûte 400 $ par mois, je conduis une vieille voiture, je me nourris d'aliments bios. Je ne voyage pas, je n'ai pas ce qu'on appelle une vie sociale, je me maintiens en santé, je fais de l'exercice, je marche beaucoup en forêt. Cette existence très simple me permet de me consacrer exclusivement à ma musique. Chaque matin, je me lève avec le sentiment de décider librement ce que je veux faire de ma vie. »

À la Fédération ukrainienne dimanche, 21 h.