Martin Léon et Louis-Jean Cormier n'avaient jamais entendu un disque de «chansons symphoniques» qu'ils avaient aimé...

«Nous en avons longuement parlé. La voix très en avant et l'orchestre comme un synthétiseur-abeille en arrière: nous savions que ce n'était pas ça», explique Martin Léon qui, avec son comparse Cormier, a coréalisé La symphonie rapaillée, troisième disque du projet 12 hommes rapaillés qui sort mardi.

On y trouve 5 pièces du premier CD (2008) et 7 du deuxième (2010), 12 chansons interprétées par les 12 mêmes hommes, autant de poèmes de Gaston Miron mis en musique par Gilles Bélanger, musiques arrangées ici par Blair Thomson, qui avait déjà «symphonisé» Michel Rivard, en 2008.

Coréalisateur, Martin Léon est l'un des 12 rapaillés - il chante Art poétique - et, en plus, les voix ont été enregistrées dans son studio. Engagement total, donc, qui a connu son point culminant en février, au cours de ce week-end au studio Piccolo où les musiques ont été enregistrées avec un orchestre de 24 musiciens dirigé par Blair Thomson lui-même.

Des hommes à rapailler

François Bissoondoyal, producteur délégué de Spectra Musique, connaît la chanson: au cours des derniers mois, il a dirigé la production des disques de Michel Rivard (Roi de rien) et le Fabriquer l'aube de Vincent Vallières, un des grands succès de la saison. Discrètement, ce Québécois d'origine mauricienne vient d'ajouter à son CV l'expérience du symphonique...

Très différente, avec beaucoup de choses à attacher, beaucoup de monde à rapailler. Comme producteur délégué, Bissoondoyal travaillait avec Guillaume Lombart d'Ad Litteram, coproducteur du CD. «Mon rôle, ici, tenait exclusivement au budget et au calendrier. De l'enregistrement à la production et à la promotion du CD, avant les spectacles des hommes avec l'OSM au complet [les 7 et 8 mai].»

Première étape «symphonique»: trouver un «contractant» qui rassemblera les 24 musiciens classiques selon l'instrumentation - tant de cordes, tant de bois et de cuivres - requise par les arrangements. Mélanie Vaugeois, violoniste et leader du quatuor à cordes Mommies on the Run (Patrick Watson, Bob Walsh), apparaît dans les crédits comme «responsable des contrats - Musique»; le samedi, les 24 instrumentistes, dont 11 de l'OSM, étaient chez Piccolo, prêts à travailler.

«Blair avait son plan d'enregistrement, raconte François Bissoondoyal. Il savait exactement comment on allait enregistrer la musique en deux séances de trois heures, incluant une demi-heure de pause. Les musiciens classiques travaillent selon des règles strictes, mais elles sont connues et ne changent jamais.»

Après des répétitions de deux heures le samedi et d'une heure le dimanche, l'orchestre a enregistré 50 minutes de musique en cinq heures de travail. Bang! Dans le budget et les temps impartis! «Avec des pros de ce calibre, il n'y a pas de zigonnage: ils jouent la toune une fois et ils la rentrent!»

Stress et plaisir

François Bissoondoyal se rappellera avoir eu «le poil droit sur les bras» durant l'enregistrement. «Louis-Jean Cormier était à la console; Martin Léon se promenait dans le studio avec les partitions dans les mains. Le canal créatif avec Blair relevait de la haute voltige. On sentait à la fois l'urgence et le calme allumé, le stress et le plaisir. Une expérience merveilleuse.»

Martin Léon parle aussi d'intensité: «J'essayais d'écouter ce qui se passait là. J'ai proposé de diviser le studio en trois ou quatre parties pour donner une chance à Ghyslain-Luc [Lavigne] au mixage...»

Les 12 hommes rapaillés, à raison de 2 par jour, ont ensuite enregistré leurs voix dans le studio de Martin Léon. De façon «plus scénique», dira-t-il, à cause de la musique... Et Martin Léon, avec le grand Cormier, a finalement trouvé un disque de «chansons symphoniques» à son goût. En avant la «poésique»!

Et Gilles Bélanger rêve à Paris...

Gilles Bélanger, c'est le rapailleur de la première heure. Déjà en octobre 2007, cet autodidacte était à pied d'oeuvre pour lancer son grand projet Miron qui, dans son panthéon poétique, côtoie Neruda et Rimbaud. «La seule différence est que Gaston Miron parle de nous autres...»

L'instigateur du plus vaste projet de mise en musique de l'histoire de la poésie québécoise et compositeur des 28 mélodies des deux CD des 12 hommes rapaillés dit avoir eu «des papillons» en entendant ses mélodies reprises dans La symphonie rapaillée.

«Blair Thomson est un musicien classique d'une grande modernité qui, alliée à la folie de Louis-Jean Cormier et de Martin Léon, donne un résultat qui va au-delà de toutes nos espérances. Quand on a fait 12 hommes rapaillés à Petite-Vallée, certains avaient exprimé des doutes: ils craignaient que la poésie de Miron se perde dans la musique symphonique.» Voilà donc 12 hommes rassurés...

Gilles Bélanger met en lumière un autre aspect de la création: «Peut-être parce qu'il est anglophone, Blair a beaucoup creusé dans les textes pour y trouver la musique, ce qui explique peut-être le caractère plus introspectif des interprétations...» Ajouté au fait que, sans section rythmique basse-batterie et sans guitare, les chanteurs doivent trouver des moyens différents de prendre appui sur la musique.

Ce projet symphonique marque-t-il la fin du rapaillage musical de Gaston Miron? «Au chapitre de la mise en musique de ses poèmes, je crois bien que oui», dira Gilles Bélanger le soi-disant «seul nobody» des 12 hommes rapaillés. «Ici, on a vendu 75 000 CD de chansons tirées de poèmes: ce n'est pas rien. On a chanté sur scène, en folk rock et en country: ça marche. Mon rêve est d'amener ça à Paris pour que les Français retrouvent la poésie de Gaston Miron.» Voyez ça: 12 hommes écartillés.

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CHANSON. Artistes variés, La symphonie rapaillée, Spectra Musique. Sortie mardi prochain.