Le première fois que Michel Laprise a reçu un message texte en pleine nuit, il s'est demandé qui pouvait être assez fou pour texter à pareille heure. Bien vite, il a compris qu'il s'agissait de sa nouvelle patronne: une dénommée M (pour Madonna), femme au sommeil léger et dont l'esprit n'est jamais aussi furieusement créatif qu'à 4h. À quelques jours de l'arrivée en ville de la Madone, le metteur en scène de la tournée MDNA raconte l'extraordinaire aventure qu'il a vécue.

Quand il étudiait les lettres au Collège Jean-de-Brébeuf, puis le jeu dramatique à l'École nationale de théâtre aux côtés de Benoît Brière et de Wajdi Mouawad, Michel Laprise n'avait qu'une certitude: il ferait un jour de la mise en scène, peu importe les murs et les détours sur sa route. Mais si quelqu'un lui avait dit à ce moment-là qu'il ferait de la mise en scène, oui, mais pas au TNM ni au Quat'Sous, mais pour des oligarches russes, des princes arabes, des rois du pétrole et une pop star planétaire, il aurait probablement perdu connaissance. Pourtant, c'est ce qui est arrivé à ce natif de Québec, le dernier (avec sa jumelle) des quatre enfants d'un électricien et d'une infirmière.

À peine sorti de l'École nationale et sans même imaginer ce que l'avenir lui réservait, Laprise a fondé avec Stéphane Lavoie le Théâtre Pluriel, une troupe d'avant-garde qui avait pour mission «de faire vivre au public et aux créateurs des expériences théâtrales qui provoquent une réflexion sur la représentation théâtrale même.»

On peut encore retouver sur l'internet des critiques parfois élogieuses, parfois moins, des spectacles signés par Laprise, comme Fenêtre surqui? (adapté de Rear Window de Hitchcock), Le silence des abîmes et L'ombre d'un doute. Reste qu'à la fin des années 90, Michel Laprise avait beau être considéré comme un talent prometteur, il peinait à obtenir des subventions et à se tailler une place dans le milieu du théâtre établi. Pour gagner sa vie, il tenait des petits rôles au cinéma comme celui de Mohammed dans Pudding chômeur de Gilles Carle ou collaborait aux spectacles de Michel Lemieux et du Théâtre des Deux Mondes.

À l'époque, Laprise aurait sans doute vendu son âme pour avoir le privilège de monter une pièce au TNM, mais l'occasion ne s'est jamais présentée.

«C'est finalement une bonne chose que Lorraine Pintal ne m'ait pas confié de mise en scène au TNM. Si ça avait été le cas, je ne serais probablement pas allé au Cirque du Soleil, je n'aurais pas voyagé aux quatre coins du monde, comme je l'ai fait à titre de dépisteur, et surtout je n'aurais pas vécu tout ce que j'ai vécu», dit-il assis dans un resto du Vieux-Montréal avec ses jeans savamment patchés et un t-shirt jaune moutarde qui lui donnent un air juvénile en dépit de la quarantaine.

Son rendez-vous raté avec le TNM est peut-être anecdotique, mais permet de comprendre pourquoi à la fin des années 90, fauché et un brin épuisé par le monde du théâtre, il s'est tourné vers le Cirque du Soleil. «La même semaine où j'ai décroché le poste au Cirque du Soleil, j'ai eu une offre chez Cossette, mais j'avais soif d'exotisme. Je me disais que je resterais quelques mois au Cirque du Soleil, le temps de faire le plein de voyages et de gagner de l'argent pour le réinvestir dans mes futures productions.»

Dix ans plus tard, il est toujours au Cirque du Soleil avec à son actif la mise en scène de dizaines d'événements spéciaux privés financés par des millionnaires qui, pour l'anniversaire de leur dernière, le mariage de leur aîné ou tout simplement pour faire la fête ont voulu se payer le Cirque du Soleil dans leur jardin ou leur domaine.

«Ce n'était peut-être pas des shows de l'ampleur de ceux à Vegas, mais il fallait qu'ils aient autant d'envergure et de créativité et qu'ils répondent aux mêmes exigences qu'un spectacle professionnel du Cirque du Soleil», raconte-t-il en taisant l'identité de ses clients et le nom des vedettes qu'il a engagées pour ces événements.

Dans le fond, ce que ces millionnaires cherchaient, c'était un concept marqué du sceau de qualité du Cirque du Soleil. C'est probablement aussi ce que Madonna cherchait lorsqu'elle a rencontré Laprise et le directeur artistique Jean-François Bouchard, dans un studio d'enregistrement à New York. Le charme volubile de Laprise, son passé théâtral, sa culture et son expérience des grosses productions, ont fait le reste même si Laprise ajoute: «Il fallait quand même qu'elle ait du guts pour engager quelqu'un dont le nom n'apparaît pratiquement pas quand tu le tapes dans Google!»

Laprise se revoit debout au milieu du studio, exposant ses idées avec force gestes, tandis qu'une Madonna silencieuse l'observe avec un petit sourire, l'air de se dire: il n'est pas gêné, celui-là! «Plus tard, elle m'a fait entendre un premier extrait de son nouvel album. Elle semblait nerveuse et vulnérable et j'ai tout de suite eu envie de travailler avec elle.»

Les textos de M (comme la surnomme son entourage) ont commencé à débouler à toute heure du jour et de la nuit tandis qu'une complicité artistique naissait lentement entre la chanteuse et celui qu'elle présentait à ses amis comme «le French Canadian that makes me chuckle».

Un réel dialogue

Je brûle de lui poser une question depuis le début de l'entretien: quelqu'un sur terre, aussi talentueux soit-il, peut-il vraiment mettre en scène une star réputée autoritaire, déterminée et sachant exactement ce qu'elle veut?

«Oui, répond d'emblée Michel Laprise. On peut lui donner des conseils, lui faire des propositions. C'est quelqu'un qui écoute beaucoup. On ne lui dit pas comment bouger, ça, elle sait le faire à la perfection, mais pour le reste, c'est tout à fait possible de mettre en scène Madonna.»

En tout, depuis la gestation, les répétitions à New York dans les studios du Meat Packing District et le coup d'envoi de la tournée MDNA, trois mois se sont écoulés. Pendant ce court mais intense laps de temps, Laprise en a vu de toutes les couleurs, en chaussant les souliers du célèbre Jamie King qui était des deux dernières tournées de Madonna.

Il se souvient encore du jour où il expliquait à Madonna, comment il imaginait la scène du motel avec son revolver et ses éclats de sang sur le mur. «Je voulais évoquer une atmosphère très SM (sado-masochiste), mais ma langue a fourché et j'ai dit SMS. Madonna qui est très portée sur les SMS a été prise d'un immense fou rire. C'est vraiment quelqu'un qui a un grand sens de l'humour.»

Une autre fois, alors qu'il avait été invité dans la maison de campagne de M pour une session de travail, Laprise s'est retrouvé de bon matin dans sa cuisine. M dormait, la maison était parfaitement silencieuse et Laprise a eu le malheur de tousser. Deux secondes plus tard, une assistante recevait un message texte commandant le silence absolu. Ce coup-là, c'est Laprise qui a failli être pris d'un fou rire.

Le Québécois assure qu'il a entretenu un réel dialogue artistique avec la chanteuse tout au long de leur collaboration. «Au début, j'avais 250 idées. J'en ai présenté sept. L'idée de la cathédrale, du plafond de verre, de l'encensoir, c'est de moi. Si c'était à refaire, je referais tout demain matin en sachant que ça serait tellement plus facile la deuxième fois.»

Michel Laprise espère que M fera encore de la scène quand elle aura 70 ans. Il rêve d'ailleurs de retravailler avec elle à ce moment-là. Les petites controverses que M a alimentées tout au long de la tournée MDNA, en exposant un sein, en s'attaquant à Marine Le Pen ou en se portant à la défense du groupe Pussy Riot ne le dérangent pas. Au contraire. Il y voit la preuve de la grande indépendance d'esprit d'une femme parfaitement assumée et libre. C'est pourquoi il ne faudra pas se surprendre de voir Madonna arborer un carré rouge à Montréal. À défaut de faire scandale, ce bout de tissu rouge donnera une couleur locale supplémentaire à la mise en scène.