Une voix puissante s'élève au dessus de la scène. Avec fougue, une soprano incarne la rebelle, la passionnée, la violente Winnie Madikizela-Mandela dans un opéra consacré à l'ex-femme du premier président noir d'Afrique du Sud, Nelson Mandela.

«Je serai diabolisée et haïe. Mais nous n'avons pas le choix», clame-t-elle. Dans la fosse, l'orchestre tonne. Elle, explose: «Avec nos boîtes d'allumettes, nous libèrerons ce pays!»

Le poing levé, en treillis militaire, la cantatrice Tsakane Maswanganyi répète son rôle avant la première mondiale de Winnie L'Opéra, le 28 avril au Théâtre d'État de Pretoria.

L'oeuvre débute en 1997 quand la pasionaria des townships, divorcée depuis un an, est appelée à comparaître devant la Commission vérité et réconciliation (TRC) chargée de libérer la parole sur le traumatisme hérité d'un demi-siècle d'apartheid.

Winnie Mandela est mise en cause pour les exactions d'un groupe de jeunes hommes qui formaient sa garde rapprochée, dans le Soweto militant des années 1980. Son Mandela United Football Club est accusé d'avoir tué plusieurs collaborateurs présumés du régime raciste.

La scène est prétexte à un retour sur l'itinéraire de cette femme brimée par la police, déportée loin des siens, détenue à l'isolement et torturée à multiples reprises, alors que son époux croupissait en prison.

«Pourtant, Winnie est toujours restée debout et s'est battue pour défendre ses idées», souligne Mfundi Vundla, coproducteur et coauteur du livret (en anglais et xhosa).

«C'est un grand personnage, qui rappelle la Mère Courage de Brecht ou Carmen. En plus, elle est belle, elle a du sex-appeal, cela incite à raconter son histoire», ajoute-t-il.

Sa vie tumultueuse et son caractère d'héroïne grecque en ont inspiré d'autres: un téléfilm de la BBC lui est consacré et un film avec l'actrice américaine Jennifer Hudson est en préparation à Hollywood.

Pour Bongani Ndodana-Breen, le compositeur de Winnie l'Opéra, le bel canto est toutefois la meilleure forme pour raconter son histoire.

«C'est un langage qui a de la grandeur», souligne-t-il. «Seul un orchestre de 65 instruments peut donner vie aux mots puissants et incendiaires» qu'utilisait Winnie Mandela pour mobiliser la population, juge-t-il.

En 2007, il a eu l'idée avec son compatriote Warren Wilensky, un réalisateur de cinéma lui aussi établi au Canada, d'écrire un opéra sur l'égérie de la lutte anti-apartheid.

En quelques mois, ils montent un spectacle multimédia intitulé La passion de Winnie pour un festival à Toronto. Leur muse est censée assister à la représentation mais les autorités canadiennes lui refusent un visa. Si l'affaire fait les gros titres, leur oeuvre ne convainc pas les critiques.

Persuadés de tenir un sujet en or, ils rentrent en Afrique du Sud, révisent leur copie et s'associent à Mfundi Vundla, qui présente le double avantage d'être un producteur de télévision à succès et d'avoir un passé militant respecté par Winnie Mandela.

Grâce à lui, ils obtiennent un financement du gouvernement et la bénédiction de leur sujet. «Elle n'a rien voulu voir ou écouter. Elle a dit qu'elle voulait être surprise», explique Warren Wilensky.

Le 28 avril, «la Mère de la Nation» sera dans la salle pour entendre chanter sa vie, sujet de débats passionnés en Afrique du Sud.

Mais attention, «il ne s'agit pas de l'aimer ou de la détester», ni de la réhabiliter ou de la conspuer, met en garde Warren Wilensky.

«Nous voulons raconter son histoire dans sa globalité. Les gens l'ont mal jugée parce qu'ils ont interprété en période de paix ce qu'elle a fait en temps de lutte», dit-il. «Elle était en guerre, les gens ne le réalisent pas.»