Quatre ans après l'acclamé He Poos Clouds, lauréat du tout premier prix Polaris, l'auteur-compositeur-arrangeur-interprète torontois Owen Pallett offre Heartland en abandonnant son nom de scène Final Fantasy. Entrevue avec le créateur du premier bon disque de la décennie.

Globe-trotteur assidu depuis le succès d'estime de son deuxième album solo (He Poos Clouds), Owen Pallett, violoniste de formation mais arrangeur autodidacte, est aujourd'hui retenu dans des studios de la Grosse Pomme où il tente de terminer la trame sonore du drame Rabbit Hole, mettant en vedette Nicole Kidman et Aaron Eckhart.

 

«Une trame de facture baroque, sur laquelle je travaille depuis octobre dernier. Mais je risque de devoir laisser ça avant de l'avoir terminé, puisque je commence la tournée» pour faire la promotion de l'ambitieux Heartland.

«Je n'avais pas envie d'un album de synth-pop avec ma voix et mon violon. Un disque de violon? Je l'ai fait déjà. Je n'aime pas me répéter», dit Pallett, joint dans son appartement du East Village de New York, où il réside depuis plusieurs mois déjà. Quatre ans après les intimistes et artisanales chansons de He Poos Clouds, Pallett s'est donné les moyens de concevoir Heartland, album à mi-chemin entre la chanson d'auteur et le musical classique des années 50.

«Honnêtement, j'aurais voulu que cet album paraisse plus tôt, enchaîne-t-il. En 2007, j'ai essayé de m'y mettre, mais j'ai réalisé que ce n'était pas le bon moment. J'ai choisi de prendre mon temps, de parfaire mon art; c'est pourquoi j'ai lancé ces deux EP l'an dernier.»

Quatre ans, c'est long, mais Pallett a su s'occuper, collaborant aux albums de Arcade Fire, Grizzly Bear, Beirut, Stars, Mika, Pet Shop Boys et The Last Shadow Puppets, le projet du chanteur d'Arctic Monkeys. Des amis comme ça font la preuve par quatre que ce petit gars de Toronto compte parmi les musiciens les plus captivants de la scène indie pop.

Sonorités nouvelles

Ainsi, Heartland devient la pièce de résistance dans l'oeuvre de Pallett, qui a choisi d'utiliser son vrai nom plutôt que Final Fantasy, histoire de ne pas créer de confusion lorsque l'album paraîtra au Japon, où son nom de scène est plutôt associé à une populaire franchise de jeux vidéo. Les arrangements sont savants, les cordes luxuriantes, les chansons ne suivent pas le modèle traditionnel couplet-refrain-couplet. Sorte de musical moderne, un peu Gershwin, un peu Brian Wilson, hyper-référentiel, mais aussi éminemment singulier, dans ces rythmiques sèches et les efficaces et délicats oripeaux électroniques qui enrobent quelques chansons.

Par ailleurs, Heartland impressionne par les moyens mis à la disposition de son créateur, moyens qu'Owen Pallett décrit comme étant «faramineux, pour un album pop, en tout cas». L'écriture a débuté à Lisbonne, à l'été 2008. Le Czech Symphony Strings a déposé ses nombreuses cordes sur bandes dans un studio de Prague, alors que l'ensemble The St.Kitts' Winds de Toronto a été mandaté dans un studio de la ville natale du musicien. Enfin, tout le reste du disque a été enregistré à Reykjavik, en Islande, sous la houlette du réalisateur Sturla «Mio» Pórisson (Björk, Camille, Bonnie «Prince» Billy). «J'espérais un disque aux sonorités nouvelles, avec des instruments comme on les a rarement entendus auparavant».

«C'est un disque qu'on écoute avec attention, en rupture avec l'usage fonctionnel. Tu sais, télécharger des mp3, nourrir le iPod, l'écouter en route, en faisant les courses... Il y a de ces albums, comme The Drift de Scott Walker, que j'idolâtre. Des albums qui exigent une certaine interaction avec l'auditeur, qui captent son attention.»

Un album-concept, comme l'était dans une certaine mesure He Poos Clouds, Heartland met en scène un cultivateur nommé Lewis qui remet en question son métier et ses valeurs. La trame narrative, cependant, en révèle davantage sur son auteur que cette poésie, aux images parfois difficiles à saisir, le laisse croire.

«Même si je raconte l'histoire d'un personnage fictif, ça reste moi. Lewis parle de moi, Owen (dans Tryst With Mephistopheles) et même de Heartland, le disque!»