Après la longue tournée Fixer le temps, Dumas s'est enfermé en studio avec son complice Louis Legault à l'automne 2008. Son plan était bien établi, son modèle d'affaires aussi: sortir en un an quatre disques à tirage réduit (10 000 exemplaires chacun) et, à la fin, un autre album dont il ignorait encore la teneur, mais qui serait plus achevé et viendrait boucler la boucle de cette aventure hors du commun: le bien-nommé Traces.

Dumas l'avoue spontanément: l'aventure hors-normes qu'il vient de vivre tenait du défi personnel. «J'avais le goût d'une autre démarche en studio, je ne voulais plus arriver avec une vingtaine de maquettes, me dit-il au restaurant où nous nous retrouvons après une séance de photos à La Presse. Nord -le premier de ce qu'il appelle ses «mini-albums» (43 chansons!), lancé il y a un an- marquait quand même une cassure par rapport à la manière dont je travaillais auparavant: j'y jouais presque de tous les instruments avec Louis.»

Aujourd'hui, quand on lui dit qu'il est chanceux d'avoir vécu pareille expérience, Dumas répond que cette chance-là, il l'a provoquée. Pendant un an, il s'est interdit de faire autre chose qui l'aurait sans doute passionné, comme une musique de film. «Je suis sûr qu'à 40 ans, je vais avoir une autre perspective sur cette année-là», dit celui qui, à 30 ans, a un parcours original que doivent lui envier bon nombre de musiciens.

Même s'il n'avait jamais cessé d'écrire pendant la tournée Fixer le temps, Dumas se lançait un peu dans le vide l'an dernier. Il n'y avait aucune garantie que les chansons qu'il avait déjà dans ses cartons se retrouveraient sur le premier de ses quatre mini-albums. À preuve, la très beatlesque 13, l'une des deux chansons totalement inédites du nouvel album, dont il a fait la maquette pendant les sessions de Nord et qui a finalement «pris tout son sens» sur Traces. «Jamais je ne me suis dit que j'allais sortir quatre bons disques, explique Dumas. Mon but, c'était vraiment la recherche: me permettre d'aller dans tous les sens, de mettre sur certains disques des pièces plus longues qui n'auraient pas de sens sur un vrai disque.»

Une joute de ping-pong

Dumas et Legault ont donc loué un studio dans Saint-Henri où ils se sont donné rendez-vous chaque matin vers 9h pour une journée de travail qui ressemblait parfois à une joute de ping-pong: «J'arrivais avec une idée et quand je bloquais, je lui envoyais la chanson et Louis la travaillait... On se relançait et c'est ça qui a beaucoup allumé la création.»

Forcément, et c'était un peu le but de l'exercice, Dumas et Legault ont adopté un mode de travail essais-erreurs. «Je crois beaucoup à la réécriture, dit Dumas. Je ne savais pas quelles chansons se retrouveraient sur l'album en bout de ligne, mais je me disais que je pourrais réécrire les textes, refaire les arrangements, et c'est ce que j'ai fait. Par contre, nous avions des échéances précises à respecter, sinon je te présenterais aujourd'hui mes 12 nouvelles chansons qui seraient probablement à 90% celles de Nord que j'aurais retravaillées pendant un an.»

Chacun de ces quatre albums de laboratoire possède sa personnalité propre. Dumas avoue candidement qu'il y a des trucs qu'il n'aime vraiment pas sur le troisième, Demain: «Quand j'ai fini ce disque, je me suis demandé pourquoi je ne l'aimais pas. Puis je me suis rendu compte que, parce que c'est plus un album joué en band, j'étais revenu là où j'étais avec Fixer le temps (2006). Je l'avais échappé. Mon orgueil a été fouetté et ça m'a forcé à aller complètement ailleurs dans le quatrième album (Au bout du monde).»

La plus longue étape dans la création de Traces aura été le choix des chansons. «On l'a laissé se former tout seul, dit Dumas. On voulait un disque, pas une synthèse.» Dumas et Legault ne se sont pas contentés de remixer les chansons de Traces. Ils n'ont conservé des pistes d'origine que sur deux chansons et ont tout réenregistré avec d'autres musiciens : «Louis et moi étions allés au bout de nos fantasmes; avec Traces, on voulait simplement faire quelques essais et laisser les gars jouer.»

Certaines chansons ressemblent aux versions qu'on a connues sur Nord, Rouge, Demain et Au bout du monde, mais la plupart s'en démarquent nettement. Le ton est donné dès le départ: Rouge, qui durait plus de cinq minutes sur l'album du même nom, est désormais une intro instrumentale d'une minute et des poussières, dans laquelle les cordes sont dominantes, comme elles le seront jusqu'à la fin de Traces.

«Il y a des chansons que je n'avais pas fini de construire, explique Dumas. Comme L'amour en fuite pour laquelle j'ai refait un couplet et un autre refrain. Parfois, ce sont des détails que je voulais retravailler. Je n'ai pas gardé certaines autres chansons parce que leur version sur le mini-album me satisfaisait et que je ne voulais pas faire de Traces un album double.»

D'autres chansons, que Dumas aime beaucoup, ont été abandonnées à regret, comme Transsibérien Express, la toute première pièce de Nord. «Je trouvais qu'elle symbolisait le projet mais je n'ai jamais été capable d'en faire une version qui ne nuise pas vraiment à l'équilibre Traces, explique-t-il. Je suis en train de la mixer avec Carl Bastien et je veux donner gratuitement cette version retravaillée à mes fans sur mon site web le 1er décembre.»

Trouver sa voix

Dumas pratique un rock vigoureux, à la fois rétro et moderne, doublé d'une musique atmosphérique très évocatrice qui convient parfaitement à ses textes impressionnistes. Ce qui ne l'empêche en rien d'être un amoureux des mélodies qui n'entretient aucun préjugé envers les chansons pop bien faites. Pas étonnant qu'à chacun de ses concerts, son public ne se fasse pas prier pour chanter avec lui.

«Honnêtement, je ne pourrais pas juste jouer de la guitare dans la vie, je ne suis pas assez bon; je ne pourrais pas non plus être seulement un chanteur parce que j'ai une voix bien ordinaire, dit-il. Quand j'ai commencé, à 17-18 ans, je ne voulais pas être chanteur. J'aimais ça être à l'avant-scène, mais ce qui m'attirait surtout, c'était écrire des tounes, les interpréter... Carl Bastien m'a beaucoup aidé à me trouver une voix en studio. Une chanson comme Passer à l'ouest m'habite depuis un an et je vois la différence quand j'écoute ma voix dans Traces et dans les premières versions de Nord. Par contre, comme j'étais un peu complexé par ma voix, ça m'a forcé à écrire des mélodies. Ma force, c'est justement de mettre tout ça ensemble et de faire des chansons. J'aime ça, moi, quand c'est accrocheur; la bonne pop, c'est quelque chose de très difficile à faire.»

Pendant sa retraite fermée, Dumas s'est permis deux fois de remonter sur scène, en mars et en juin derniers, avec une dizaine de musiciens. Des spectacles qui, dit-il aujourd'hui, faisaient aussi partie de sa démarche: «Je savais automatiquement si j'étais à l'aise ou pas avec ces chansons.»

Il n'y aura pas de section de cordes derrière lui quand il entreprendra sa résidence des Fêtes au National, le 27 décembre, mais on retrouvera le guitariste fou Jocelyn Tellier et le batteur Marc-André Larocque ainsi que le bassiste Alexandre Dumas. «Quand on était 12 sur scène, au Métropolis, c'était un peu un fantasme pour l'arrangeur en moi, mais ça donne des spectacles lourds à faire tourner, dit Dumas. Ces chansons existaient avant les cordes et on a plein de trucs pour les remplacer.»

 

---Dumas, au National du 27 au 31 décembre et du 21 au 23 janvier.

EN UN MOT

L'un des plus musiciens les plus doués, les plus convaincants et les plus fonceurs du Québec, doublé d'une véritable bête de scène.