AC/DC est increvable. Son train de rock n' roll roule depuis déjà 36 ans. Ce soir, le groupe devrait se produire devant 53 000 personnes au Stade olympique. C'est probablement le plus gros concert à Montréal depuis celui de U2 au même endroit, il y a déjà 12 ans. Portrait de quatre visages de la bête.

Le sablier et ses limites

Cela ne devait pas arriver. Angus et Malcolm Young, Brian Johnson, Phil Rudd et Cliff Williams sont aujourd'hui dans la cinquantaine ou la soixantaine. Mais ils continuent de charger avec leur rock bestial. Et ils continuent de trôner dans les palmarès.

 

À sa sortie en octobre dernier, leur disque Black Ice s'est hissé au sommet des ventes dans 28 pays, notamment au Canada.

AC/DC a vendu plus de 200 millions d'albums en carrière. Le groupe en a écoulé plus de 26 millions aux États-Unis depuis 1991 (début des recensements Nielsen). Cela le classe en deuxième position des meilleures ventes d'albums, devancé seulement par les Beatles.

Et les billets de ses concerts s'envolent rapidement. Les stades et arénas de la planète se remplissent encore de fans qui veulent encaisser T.N.T, Highway To Hell, Back in Black et deux ou trois extraits du nouveau disque (habituellement Rock N' Roll Train et Black Ice).

Les Australiens auraient-ils pactisé avec le diable? Sûrement pas. Si le diable existait, il aurait ménagé leur physique. Le doyen du groupe, le chanteur Brian Johnson (61 ans), devient bedonnant. Le guitariste Angus Young pourra bientôt compter les cheveux sur son front. Et il a plus que jamais besoin de son oxygène et de ses aspirines en coulisses, au cas où.

Son frère Malcolm et lui ressemblent aujourd'hui à deux hobbits suintants, avec leurs jambes-allumettes et leur teint cadavérique. Un teint qu'on découvre encore à chaque concert quand Angus baisse son pantalon pour dévoiler ses fesses osseuses - camouflées dans la présente tournée par des caleçons à l'effigie du groupe, en vente au stand de souvenirs.

La meute

La lecture de AC/DC: Maximum Rock&Roll, l'une des quelques biographies du groupe, devient vite redondante. Concert dans une boîte de Melbourne - Bon Scott tabasse un portier. Concert dans un club d'Angleterre - Angus balance sa guitare sur le crâne d'un fan insolent. Et ainsi de suite.

Un esprit clanique anime AC/DC. C'est une meute. Méfiance envers l'extérieur, loyauté totale envers le groupe. Le noyau du clan: Malcolm et Angus, sixième et septième fils des Young, une famille de Glasgow qui a déménagé à Sydney au début des années 60.

Leur grand frère George gravite aussi autour du groupe. Ancien guitariste des Easybeats, il a réalisé quelques-uns de leurs albums, dont High Voltage et Stiff Upper Lip. Margaret, seule fille de la famille, joue aussi un rôle dans l'histoire d'AC/DC. Le costume d'écolier-diablotin d'Angus, c'était son idée. Idem pour le nom du groupe. Selon la petite histoire, elle aurait eu le flash en regardant derrière une machine à coudre ou un aspirateur.

Les Young se sont toujours enorgueillis de leurs racines ouvrières. Malgré leur immense succès, on les voit rarement sur un tapis rouge ou dans les tabloïds. C'est un cadeau presque aussi beau que leur musique.

Le fantôme de Bon

En 1974, un accident de moto a forcé Bon Scott à se reposer de la scène. Pour boucler ses fins de mois, il lavait des bateaux et placardait des affiches comme celles d'un jeune groupe nommé AC/DC. Quelques mois plus tard, il est devenu le nouveau chanteur.

Lui aussi était un Australien né en Écosse. Âgé de 28 ans, il servait un peu de grand frère à Angus (19 ans) et Malcolm (21 ans). Il leur ressemblait, et il les complétait.

AC/DC possédait déjà l'instinct brut dans sa musique. Mais beaucoup moins ailleurs. Quand Angus cessait sa danse de canard épileptique pour retourner en coulisses, il redevenait plutôt tranquille, avec son régime de thé, lait au chocolat et cigarettes.

Scott, lui, personnifiait le rock. Et il le transposait dans des textes qui ont défini l'essence du groupe qui perdure encore aujourd'hui. C'est le refus du spleen, le besoin viscéral de foncer à toute vitesse pour goûter à tout avec insouciance. Y compris aux jeunes filles, comme en témoignent les titres Love Hungry Men et Let Me Put My Love into You.

D'ailleurs, la tournée Lock Up Your Daughters de 1976 n'était pas qu'un slogan. Scott a perdu quelques dents quand un père et son ami ont défoncé sa porte de chambre, armés d'une batte de baseball. Ils cherchaient une jeune fille...

Les paroles ont le mérite d'être limpides. Mais il faudrait une conception plutôt élastique de l'art pour les juger poétiques. Certains y voient plutôt l'adolescence attardée qui s'éternise jusqu'à s'enliser dans un cul-de-sac.

Les événements leur ont donné un peu raison. Par une nuit froide, le 18 février 1980, après avoir éclusé trop de scotch, Scott s'est endormi sur la banquette arrière d'une voiture à Londres. Il ne s'est jamais réveillé. Mort étouffé dans son vomi.

Pour les puristes, AC/DC a perdu son âme depuis que Brian Johnson l'a remplacé. Scott n'aurait pourtant pas renié ce choix. Il avait déjà été impressionné par l'énergie du groupe Geordie. Son chanteur, un certain Brian Johnson, s'était écroulé de fatigue à la dernière pièce d'un concert. Quelques minutes plus tard, il se rendait à l'hôpital à cause d'une appendicite.

Le train musical

«Les gens disent qu'on fait le même disque depuis 11 ans. Ce n'est pas vrai. On fait le même depuis 12 ans», a blagué Angus Young sur les ondes de la BBC, au début des années 80.

Il pourrait aujourd'hui dire «depuis 34 ans». Cette simplicité figure presque dans la charte d'AC/DC. Avant même la fondation du groupe, George Young conseillait à ses deux frérots d'éviter la complexité pour la complexité, une erreur qu'il avait constatée dans les dernières pièces des Easybeats.

On raconte que pour trouver la bonne caisse claire, il a déjà amené un ami dans une aciérie. Le presseur de 20 tonnes donnait le son voulu.

AC/DC a toujours collé aux premières amours de ses membres, le blues et le vieux rock (Chuck Berry, Little Richard, Jerry Lee Lewis, Muddy Waters) et certains de leurs contemporains (The Who, Jimi Hendrix) et certaines pièces des Stones, comme Jumpin' Jack Flash, et des Beatles, comme Get Back.

«On croit que la musique devrait être jouée aussi fort que possible, et on va cogner quiconque dit le contraire», lançait Bon Scott aux débuts du groupe. Son rock «bluesé», AC/DC l'a toujours joué bruyamment, et superbement aussi.

Sa section rythmique ressemble à un train qui refuse de s'arrêter. Angus Young en décuple la force avec sa guitare. La puissance de son jeu provient autant des notes que de l'espace entre les notes. Comme le lourd silence qui sépare deux coups de tonnerre.

On devrait le constater encore une fois ce soir. Bons acouphènes.

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AC/DC, ce soir au Stade olympique, avec The Answer en première partie. Portes ouvertes à 18h, spectacle à 19h45.