Le Festival de Bayreuth, temple mondial de l'opéra wagnérien, ouvrira vendredi une 97e édition à la tonalité particulière puisque ce sera la dernière dirigée par Wolfgang Wagner, petit-fils du compositeur, après plus d'un demi-siècle de règne.

Le lever de rideau, qui a lieu de manière immuable le 25 juillet à 14 h devant un parterre riche en personnalités, sonnera la création d'une nouvelle production de Parsifal, le testament lyrique de Richard Wagner (1813-1883), composé pour Bayreuth où il a été créé en 1882.

Le chef d'orchestre italien Daniele Gatti et le metteur en scène norvégien Stefan Herheim feront à cette occasion leurs débuts au Festspielhaus (1974 places), palais du festival à la visibilité et à l'acoustique idéales, inauguré en 1876 sur une colline dominant cette ville du nord de la Bavière.

La dernière représentation en 2008 de ce nouveau Parsifal aura lieu le 28 août, jour de clôture de la manifestation chaque année. Wolfgang Wagner fêtera ses 89 ans deux jours plus tard, la veille de la date limite fixée pour son départ du festival. Un mini-séisme sur la «Colline verte», où le patriarche régnait seul depuis 42 ans et s'était proclamé directeur «à vie», après avoir partagé le pouvoir avec son frère Wieland de 1951 jusqu'à son décès en 1966.

L'annonce de sa retraite était cependant attendue, en raison de son âge avancé. Le décès soudain, en novembre à l'âge de 63 ans, de son épouse et collaboratrice Gudrun, qui lui apportait une aide précieuse, a sans doute pesé dans sa décision de passer la main.

La question de sa succession devrait animer les conversations lors des longs entractes sur la «Colline verte», même s'il ne fait guère de doute que le poste va échoir aux deux filles de Wolfgang, Eva Wagner-Pasquier, 63 ans, et la demi-soeur cadette de celle-ci, Katharina Wagner, 30 ans.

Leur cousine Nike Wagner, 63 ans également, fille de Wieland, a elle aussi affirmé de longue date son intérêt pour le poste, mais il y a peu de chances que la décision du conseil de la fondation (Stiftungsrat) gérant le festival, probablement connue fin août ou début septembre, lui soit favorable.

Wolfgang voue en effet à sa nièce une franche hostilité, alors qu'il a écrit en avril au Stiftungsrat pour vanter finalement les mérites d'un ticket entre ses deux filles, longtemps brouillées mais qui «ont eu l'occasion d'apprendre à se connaître beaucoup mieux», selon lui, au cours des derniers mois.

Katharina Wagner aura l'occasion de faire parler d'elle également sur le plan artistique cette année, grâce à la reprise des très contemporains et controversés Maîtres chanteurs qu'elle a présentés l'an dernier.

Cette production prouvera que Bayreuth n'est pas fermé à l'innovation en matière de diffusion: la première, dimanche, sera visible en direct sur Internet, le festival ayant toutefois tenu à ce que cette opération inédite ici soit payante (49 euros) et limitée à quelque 10 000 mélomanes préinscrits.

Autre première, environ 15 000 personnes pourront suivre cette représentation sur un écran géant dans la ville, gratuitement cette fois.

Les autres productions reprises au Festspielhaus seront Tristan et Isolde dans la mise en scène du Suisse Christoph Marthaler et L'Anneau du Nibelung dans celle de l'Allemand Tankred Dorst.

Comme chaque année, les près de 58 000 tickets écoulés n'auront pas permis de satisfaire la demande, huit à neuf fois supérieure à l'offre, preuve que cette «Colline verte» que l'on dit aussi «sacrée» suscite toujours la dévotion.

Wolfgang Wagner, l'art du pouvoir d'un héritier

Wolfgang Wagner, qui dirigera à partir de vendredi son dernier Festival de Bayreuth, aura moins marqué son temps par ses dons de metteur en scène et même de programmateur que par sa capacité à se maintenir, durant plus de 50 ans, à un poste convoité.

Le petit-fils du compositeur Richard Wagner quittera son poste de directeur général au plus tard le 31 août prochain, soit trois jours après la clôture de la 97e édition de la manifestation.

Il viendra de fêter ses 89 ans, lui qui est né le 30 août 1919 à Bayreuth, ville du nord de la Bavière où Richard Wagner a inauguré en 1876 un théâtre à la gloire de son oeuvre.

L'aventure de Bayreuth, Wolfgang va d'abord la mener en tandem avec son frère aîné Wieland. Lié au régime nazi - Winifred, la mère de Wolfgang et Wieland, était une amie d'Hitler -, le festival n'aurait pas pu être relancé après la Seconde Guerre mondiale sans l'énergie des deux frères.

Après avoir écarté leur mère, idéologiquement trop compromise, Wolfgang et Wieland parviennent à organiser leur premier festival en 1951.

Le partage des tâches est assez clair. Wieland est l'âme artistique du «Nouveau Bayreuth», signant des mises en scène qui fascinent par leur beauté stylisée et fidélisant une équipe de chanteurs (Nilsson, Varnay, Windgassen...) légendaire.

Les réalisations de Wolfgang, plus traditionnelles voire convenues, donnent de lui, au contraire, l'image d'un laborieux. C'est dans l'administration du festival que le cadet exerce le plus sûrement ses compétences, qui lui permettront de se maintenir seul au pouvoir, à la mort de Wieland en 1966.

Pragmatique, Wolfgang Wagner ne se contente pas de programmer ses propres productions (12 depuis les années 1950). Il fait appel régulièrement à des metteurs en scène extérieurs à la famille Wagner, souvent des figures de la modernité théâtrale, comme les Allemands Harry Kupfer et Heiner Müller.

Cette ère où les créateurs disposent de moyens et de conditions de production exceptionnels a un nom: «l'Atelier Bayreuth». Wolfgang Wagner montre qu'il a du flair en confiant la mise en scène du Ring du centenaire à un Français de 31 ans, Patrice Chéreau, hué en 1976 mais acclamé quatre ans plus tard.

Sous Wolfgang le festival, jusqu'alors propriété de la famille Wagner, assure sa pérennité en passant en 1973 sous le contrôle d'une fondation où siègent les pouvoirs publics.

Les années passent mais, sous son casque attendrissant de cheveux blancs et derrière le généreux sourire offert aux photographes, Wolfgang Wagner garde un caractère entier et une farouche détermination à conserver le pouvoir.

Certains s'en lassent, comme la soprano allemande Waltraud Meier, qui décide de ne plus mettre les pieds à Bayreuth tant que durera ce règne, illustrant le constat d'une relative raréfaction des grands chanteurs wagnériens sur la «Colline verte».

Fâché avec son fils Gottfried, sa première fille Eva et sa nièce Nike, Wolfgang «joue un mélange de Dallas et de tragédie grecque», écrit un critique avisé.

La guerre de succession atteint son paroxysme en 2001, lorsque Wolfgang refuse la nomination d'Eva - pourtant votée par le Conseil de fondation - car il songe plutôt à sa seconde femme Gudrun ou à sa fille cadette Katharina pour le poste.

Mais Gudrun décède en novembre 2007, et Katharina se rapproche d'Eva pour succéder à son père. Une alliance que le patriarche fatigué bénit finalement avant de confirmer, en avril dernier, son retrait d'une direction dont il s'était pourtant proclamé le titulaire «à vie».