Étoile filante et figure mythique de la littérature au Québec, Nelly Arcan a laissé, en 10 ans à peine, une oeuvre marquante. Depuis sa mort, en 2009, on a souvent proposé à Claudia Larochelle d'écrire la biographie de son amie.

Or, l'auteure et animatrice a préféré rassembler des textes de personnalités qui, mêlés à ses propres réflexions, offrent un portrait à la fois sombre et lumineux de l'auteure de Putain. Un hommage à sa vie et à son oeuvre.

Le génie de l'artiste, l'absence d'une amie

Claudia Larochelle est une femme d'aujourd'hui. À la fois mère de famille, féministe, féminine, battante, créatrice, journaliste, l'animatrice de l'émission LIRE estime que l'indépendance (financière et intellectuelle) est la clé de la liberté des femmes.

Mais c'est l'écrivaine qui a été une amie proche de Nelly Arcan que La Presse a rencontrée, jeudi dernier, le jour de la sortie de son ouvrage Je veux une maison faite de sorties de secours (VLB éditeur). Le lancement s'est fait au bar Bily Kun. Non par hasard: c'est le lieu où Claudia et Nelly aimaient écumer les soirées en refaisant le monde, tout en s'amusant de la vie. Parmi leurs sujets de discussion, autour d'un verre, il y avait celui, aussi miné qu'inévitable, des hommes.

«Je travaillais alors au Journal de Montréal, rue Frontenac, juste avant le lock-out, raconte Claudia Larochelle. Je quittais le journal et je marchais sur l'avenue du Mont-Royal pour aller rejoindre Nelly au Bily Kun. J'arrivais en furie, à cause du comportement de vieux machos de la salle de rédaction. Et avec Nelly, nous réglions leur sort [rires].»

Aujourd'hui, ces «vieux machos» sont tous à la retraite, Nelly s'est donné la mort et Claudia Larochelle a laissé le journalisme pour mieux épouser la littérature.

Depuis ce jour de septembre 2009, Claudia pense très souvent à son amie. Nelly Arcan est disparue sans lui laisser de lettre pour expliquer son geste. Les explications sont, bien sûr, dans les livres d'Arcan: le mal de vivre, les complexes (physiques et psychologiques), les paradoxes, les obsessions, la souffrance, le nihilisme...

«J'aurais aimé voir Nelly devenir mère», confie Larochelle, maman d'une petite fille de 2 ans et demi.

«Je crois sincèrement que la maternité l'aurait sauvée. Devenir mère, ça décentre de soi, ça aide à panser les vieilles blessures.»

Six ans après sa mort, Claudia Larochelle s'est autorisée à «entrer dans la maison de Nelly Arcan». Son ouvrage n'est pas une biographie. C'est plutôt un florilège de réflexions sur la vie et l'oeuvre de l'auteure de Putain et de Folle.

Entre ses souvenirs et sa prose, Larochelle a regroupé 19 textes de collaborateurs - des personnalités du milieu artistique et journalistique - ayant connu Arcan ou analysé son oeuvre. Parmi eux, Robin Aubert, Marie Brassard, Catherine Mavrikakis, Danielle Laurin, Elsa Pépin, Pierre Thibeault, Carl Leblanc, Chantal Guy, Léa Clermont-Dion...

Le livre contient aussi une entrevue avec Nancy Huston, menée par Larochelle, des photographies et des illustrations de Mireille St-Pierre.

PHOTO ANDRÉ PICHETTE, LA PRESSE

Claudia Larochelle

Pourquoi, malgré les offres d'éditeurs, Larochelle a-t-elle toujours refusé de signer une biographie d'Arcan? «Pour ne pas trahir mon amie en déballant sa vie privée, répond-elle. Il y a des choses que je sais, mais dont je ne veux pas parler. Je préfère qu'elles restent secrètes, parce qu'elles ne sont pas d'intérêt public et parce que je me sentirais infidèle envers une amie que j'ai aimée et fréquentée pendant près de 10 ans.»

Outre l'amie, Claudia Larochelle admire l'oeuvre de Nelly Arcan, une auteure qu'elle place - malgré un corpus de seulement une demi-douzaine d'ouvrages - au même rang que les Anne Hébert, Marie-Claire Blais, Virginia Woolf... Même si son style d'écriture est très différent. «Pour moi, Nelly est un génie! C'est une écrivaine mythique, avec un propos mythique. Une voix singulière et unique. Dans le rythme des phrases, la narration, la syntaxe...»

Faire son Viêtnam

Doit-on souffrir, comme Arcan, pour écrire de l'autofiction? «Non, vraiment pas, dit Larochelle. Par contre, je pense qu'il faut avoir fait son Viêtnam, avoir vécu et connu des moments de joie et d'autres de tourments, de peine, pour aller chercher la matière pour écrire.»

Selon Larochelle, il est très important de dire aux jeunes femmes, en 2015, de ne pas avoir peur de s'afficher et se revendiquer comme féministes. «Comme Nelly était un peu plus vieille que moi, explique l'auteure, je me confiais à elle comme à une grande soeur. On s'interrogeait beaucoup sur nos rapports tordus avec la féminité, la condition féminine... Sans vraiment trouver de réponse. Aujourd'hui, je peux avancer que la féminité, c'est la liberté. La liberté d'assumer ses mots, ses gestes, ses sentiments, même démesurés ou jugés trop émotifs par la société; ceux qui préfèrent voir les femmes entrer dans les rangs.»

«Nelly va marquer l'histoire», conclut l'animatrice. Selon elle, on n'a pas fini de raconter la vie et l'oeuvre de son amie dans l'Éternité. En plus du livre de Larochelle, il y a aussi le film d'Anne Émond, Nelly, avec Mylène MacKay qui doit sortir en 2016. Par-delà l'azur et les ténèbres, entre les souvenirs et la fiction, le mythe Arcan est bel et bien là pour rester.

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Je veux une maison faite de sorties de secours. Sous la direction de Claudia Larochelle. Illustrations de Mireille St-Pierre. VLB éditeur, 238 pages.

Cinq regards sur Nelly, en cinq extraits du livre

Nelly dans l'espace

«Je ne suis pas différente de ce public fasciné par les figures tragiques. Très tôt, j'ai compris que l'artiste maudit était à vénérer et que le malheur était vendeur. [...] Je pense que Nelly Arcan avait les mêmes penchants que moi, que tout le monde finalement, mais, contrairement à la plupart d'entre nous, elle est entrée dans le mythe, elle l'a incarné en se désincarnant. Ce mythe, j'ai contribué moi-même à l'alimenter, comme tous ceux qui ont écrit sur elle.» - Chantal Guy, journaliste et critique à La Presse

L'autofiction comme combat

«Il existe chez des auteurs comme Hervé Guibert, Édouard Louis, Camille Laurens et Nelly Arcan, une autofiction de combat. Et, si on se donnait plus souvent la peine de la lire comme elle le mérite, on verrait qu'en plus d'avoir le pouvoir de changer la littérature, elle est en mesure d'infléchir, et peut-être durablement, nos destins communs.» - Mélikah Abdelmoumen, auteure

À quoi rêvent les jeunes filles?

«Pour les jeunes filles, la fiction et la vie sont indissociables. Nelly la reine de l'autofiction leur a montré le chemin. Elle a rendu si excitant ce mouvement sans doute inévitable, mais certainement redoutable, entre l'invention romanesque et la réalité vécue. Suis-je vraiment celle que je m'amuse à être dans mes livres? demande sans cesse Arcan dans ses romans. C'est au lecteur de se laisser prendre dans le tourbillon des peut-être, des doutes et des rumeurs.» - Catherine Mavrikakis, auteure et professeure de littérature à l'Université de Montréal

Une huppe fasciée

«Nous nous sommes croisés une autre fois dans la rue. On s'est vus, mais on ne s'est pas regardés. Elle scrutait les voitures des sacs d'épicerie dans les mains, la tête haute. Son nez, ses yeux comme ceux d'un volatile. Sa démarche. Je n'arrive pas à mettre le doigt sur l'oiseau qui la décrit le mieux. C'en est un à grandes pattes, mais peut-être pas non plus. La grande aigrette, mais en moins cliché. L'oeil du héron, ça, j'en mettrais presque ma main au feu.» - Robin Aubert, cinéaste, auteur et interprète

La première fois, la dernière fois

«Nelly Arcan avait beau tenter d'élever le débat sur le plan littéraire, c'est de sa putasserie qu'on voulait entendre parler. C'est sa beauté refaite qui frappait. Elle-même en jouait, tout en dénonçant l'aliénation des femmes prisonnières de leur désir de séduire, asservies à la toute-puissance du regard masculin. Elle apparaissait comme une contradiction sur deux pattes. Peu de gens la prenaient au sérieux finalement.» - Danielle Laurin, écrivaine et journaliste

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Danielle Laurin