Le roman du Sénégalais Mohamed Mbougar Sarr est passé à l’histoire le 3 novembre dernier en remportant le prestigieux prix Goncourt. La plus secrète mémoire des hommes est un récit ambitieux qui clame sans pudeur l’amour de son auteur pour la littérature et défend avec aplomb son universalité. Décryptage.

La consécration du Goncourt

« Un hymne à la littérature. » C’est ainsi que le président de l’académie Goncourt, Didier Decoin, a décrit La plus secrète mémoire des hommes en lui décernant le plus prestigieux des prix littéraires français. À 31 ans, Mohamed Mbougar Sarr est l’un des plus jeunes lauréats du Goncourt, mais il est surtout le premier écrivain d’Afrique subsaharienne à le recevoir. Le romancier a d’ailleurs souligné qu’il était conscient des « questions politiques qu’il peut y avoir derrière une récompense semblable », y voyant un signal « très fort » de la part du jury. Ce quatrième roman de l’écrivain sénégalais se trouvait déjà parmi les grands favoris de la rentrée littéraire française, cet automne, étant parvenu à se classer dans les premières sélections des prix Médicis, Femina et Renaudot, notamment. Les droits de traduction ont également été vendus dans plus de 20 pays. Et qui dit Goncourt, dit réimpression massive : l’éditeur, Philippe Rey, réimprimera le roman à 300 000 exemplaires, alors que les ventes s’étaient jusque-là chiffrées à 10 000 exemplaires depuis sa parution en France, en août dernier.

Le « purgatoire de l’anonymat »

« Comme écrivain africain, je n’ai aucune notoriété littéraire dans le monde extérieur. » Ironiquement, le protagoniste de La plus secrète mémoire des hommes qui prononce ces propos, Diégane Latyr Faye, est un jeune écrivain sénégalais qui tente de percer à Paris. Il est déjà l’auteur d’un roman qui a été tiré du « purgatoire de l’anonymat » par une chronique dans Le Monde Afrique, article qui lui a valu une certaine attention dans le milieu littéraire de la diaspora africaine de Paris – « le Ghetto, comme l’appelaient avec affection certaines langues de pute, dont la mienne », écrit-il. Mais il veut accéder à ce qui est, selon lui, « LE rêve » de bien de ses confrères : l’adoubement du milieu littéraire français. C’est ainsi qu’il erre en pensée, cherchant à écrire son magnum opus, à l’image de cette œuvre qui a changé son regard sur la littérature et peut-être même sa vie, Le Labyrinthe de l’inhumain. « Nous allions à ses pages comme les lamantins vont boire à la source », raconte le personnage qui décide de remonter la trace de son auteur, un certain Elimane qui a fait scandale avant de sombrer dans l’oubli.

L’exil et la reconnaissance

PHOTO BERTRAND GUAY, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Mohamed Mbougar Sarr est le premier écrivain d’Afrique subsaharienne à recevoir le Goncourt.

Mohamed Mbougar Sarr use d’une langue poétique et imagée pour décrire la quête de Diégane Latyr Faye, alors qu’il s’interroge sur le sens de la littérature et sur son besoin viscéral d’écrire un livre qui l’en « libérerait ». Il réfléchit longuement à la question de l’exil et de la solitude de l’exilé, qui accuse à tort les kilomètres, « alors que ce sont les jours qui le tuent ». En explorant en outre la place de l’exilé dans sa terre d’accueil, il se retrouve ainsi à dénoncer la vision coloniale de l’Afrique et la façon dont sont perçus les écrivains africains en Occident, et s’exprime librement à travers ses personnages sur l’importance d’une œuvre qui pourrait vivre indépendamment de la race et des origines de celui qui la porte. « Il arrivera bien sûr que la France bourgeoise, pour avoir bonne conscience, consacre l’un de vous, et l’on voit parfois un Africain qui réussit ou qui est érigé en modèle. Mais au fond, crois-moi, vous êtes et resterez des étrangers, quelle que soit la valeur de vos œuvres. Vous n’êtes pas d’ici », fait-il ainsi dire au colocataire de Diégane.

Une œuvre primée

En plus de braquer les projecteurs sur La plus secrète mémoire des hommes, ce prix Goncourt a permis de mettre en lumière les titres précédents de Mohamed Mbougar Sarr, qui s’est manifesté très tôt comme un auteur engagé avec trois premiers romans récompensés par nombre de prix. De purs hommes (Philippe Rey/Jimsaan, 2018) revient sur le traitement des homosexuels au Sénégal, alors que Silence du chœur (Présence africaine, 2017) parle de ces migrants qui arrivent en Sicile dans l’attente d’une nouvelle vie. Son premier roman, Terre ceinte (Présence africaine, 2015), publié à 25 ans, se penche quant à lui sur la résistance dans une ville contrôlée par les islamistes. À découvrir.

La plus secrète mémoire des hommes

La plus secrète mémoire des hommes

Philippe Rey

464 pages
En librairie le 24 novembre