Beyrouth, le 4 août 2020. La catastrophe de trop. La goutte qui fait déborder un vase déjà rempli, dans un pays en surdose de drames. Qui pousse la narratrice du roman Implosions à se révolter, et celle du Syndrome de Beyrouth à s’enfuir. Ces nouveaux titres ont tous deux germé dans les ruines laissées par l’explosion meurtrière qui a ravagé le port de la capitale libanaise en pleine pandémie, l’an dernier. Et nous offrent un regard romancé, dans des œuvres fort réussies, sur des questions brûlantes d’actualité.

Implosions : quand tout implose ★★★½

Implosions, de l’écrivaine Hyam Yared, qui vit entre Beyrouth et Paris, s’amorce ce 4 août fatidique. « À dix-huit heures sept, peut-être huit ou neuf – les minutes varient –, il faisait beau. J’étais en vie. À quatre pattes. […] Sous le bureau. En attente de la troisième déflagration, la quatrième, la cinquième », écrit-elle.

Au moment où un champignon de fumée recouvre la ville, tout le monde croit à un attentat. Une mère de famille raconte la panique générale, le chaos qui s’ensuit, le jour même, puis les cinq jours qui suivent. Mais sous les débris, un drame beaucoup plus intime se dévoile : la guerre personnelle de cette femme, déjà mère de trois filles, divorcée, qui, à plus de 40 ans, a cru de nouveau à l’amour, s’est remariée et s’est engagée dans deux nouvelles maternités « entre les rives de l’absurde et de l’espoir ».

PHOTO DELPHINE MINOUI, FOURNIE PAR LA MAISON D’ÉDITION

Hyam Yared

Elle raconte les séances de thérapie avec son mari, à essayer de comprendre comment elle s’est de nouveau retrouvée enfermée dans une boîte, à accomplir des actes contraires à ses idées « beauvoiriennes », étouffée par le confinement, une maternité qui n’a plus rien à voir avec celle d’avant la pandémie et un pays qui ne cesse de lui voler tous ses espoirs.

Tout implose dans sa vie et autour d’elle ; ses défaites se mêlent au destin d’une nation en déroute qui, dit-elle, n’est qu’un rêve qui a rendu fous tous ses concitoyens. Malgré tout, elle a décidé de rester dans ce pays « où les mafieux s’accrochent au pouvoir comme des bigorneaux à des récifs marins ». Et c’est ainsi qu’elle se retrouve place des Martyrs, à inscrire un numéro d’urgence sur sa main au cas où la manifestation tournerait mal et à crier devant « le spectacle » de sa patrie à genoux. Car, comme elle l’écrit si bien, dans une langue imagée et d’une force implacable, il faut croire à l’avenir pour qu’il existe.

Implosions

Implosions

Équateurs

268 pages

7/10

Syndrome de Beyrouth : une suite ininterrompue de drames ★★★½

L’héroïne du Syndrome de Beyrouth, de l’écrivain et journaliste Alexandre Najjar, est témoin quant à elle de l’histoire en marche, au cours des décennies qui voient le Liban se détruire, se reconstruire, se libérer puis plonger à nouveau dans le chaos après l’explosion du 4 août 2020.

Journaliste, le personnage d’Amira Mitri a quitté le Liban à 18 ans. La jeune femme a été forcée par son père d’aller étudier à Paris pour s’éloigner de cette guerre civile à laquelle elle avait décidé de prendre part. Elle revient au Liban après une absence de 22 ans et y exerce son métier au sein du quotidien An-Nahar, où elle réalise son rêve de devenir grand reporter.

PHOTO MILAD AYOUB, FOURNIE PAR LA MAISON D’ÉDITION

Alexandre Najjar

Elle se retrouve cependant à faire le décompte des pertes, des morts et des scandales dans une suite ininterrompue de drames, pour finalement se sauver, 20 ans plus tard, après « l’année terrible » de 2020.

Le « syndrome de Beyrouth », explique l’auteur, est une forme de résignation, de résilience semblable au syndrome de Stockholm qui consiste à « pactiser avec l’horreur sans se révolter, à encaisser les coups sans les rendre ». Mais Amira finit par abdiquer, par perdre cette « guerre des nerfs » et choisit l’exil en définitive.

Si ce roman propose un regard intéressant sur l’histoire récente du pays, insistant sur les faits politiques à travers le récit, il fait écho à Implosions et peut se lire en parallèle tant les deux romans se complètent. Car ces deux titres très différents racontent le même pays et incarnent, chacun à sa manière, les seules voies qui s’offrent face à l’adversité : la fuite ou le combat.

Le syndrome de Beyrouth

Le syndrome de Beyrouth

Plon

320 pages

7/10