L’écrivain montréalais Naïm Kattan est mort vendredi soir à Paris à l’âge de 92 ans. C’est à un grand diplomate culturel que rendent hommage aujourd’hui son fils, Emmanuel Kattan, et ses amis. Un homme affable et généreux qui aura longtemps travaillé à la diffusion de la littérature canadienne et québécoise ainsi qu’au rapprochement des cultures. En dépit de la pandémie, il devrait être enterré à Montréal dimanche prochain.

Naïm Kattan vivait à Paris depuis deux ans. Il était à l’hôpital pour des examens de routine quand il a fait une mauvaise chute, le 21 juin dernier. L’écrivain est entré dans un coma dont il ne s’est pas réveillé. Son fils était à son chevet jusqu’au dernier moment avec la famille de la compagne de Naïm depuis 30 ans, Annie Goldman, qui s’est éteinte l’an dernier.

« C’est une coïncidence assez extraordinaire, mais mon père est tombé un an jour pour jour après la mort d’Annie. On se parlait deux ou trois fois par jour, et il appréhendait la commémoration de l’anniversaire [de la mort] de sa compagne. Ce n’est pas insignifiant. Auparavant, il avait continué d’écrire tous les jours presque jusqu’à la toute fin. Des nouvelles et des textes de réflexion sur les grandes thématiques qui l’ont occupé toute sa vie : la culture, le désir, l’amour, le pouvoir, etc. »

Né à Bagdad dans une famille juive en 1928, Naïm Kattan a émigré au Canada en 1954 après être passé par Paris, où il a étudié à la Sorbonne. Auteur d’une cinquantaine d’ouvrages, il a travaillé pendant 30 ans au Conseil des arts du Canada.

Lui-même écrivain et fils unique, Emmanuel Kattan se souvient de la grande joie qu’il éprouvait quand il revoyait son père les fins de semaine après sa semaine de travail à Ottawa.

« Mon père a vécu sa paternité d’une manière beaucoup plus nourrie, sentie et volontaire que son père à lui. Il réfléchissait à ce que ça voulait dire, être père. Il a vécu la paternité d’une manière affectueuse et instinctive, mais il l’a aussi vécue comme un véritable projet, comme une projection de lui dans l’avenir. »

D’abord étudiant en philosophie, Emmanuel Kattan est devenu lui aussi un écrivain pour qui le père aura été le modèle.

Il m’a enseigné la discipline, ce qui est important dans tout type de littérature. Mais aussi sa conviction que la littérature, que l’écriture, que la vie des lettres en était une qui valait la peine d’être vécue. C’était une porte ouverte qui a été déterminante dans mon parcours.

Emmanuel Kattan, fils de Naïm Kattan

Amitiés

L’écrivain et éditeur Jacques Allard a été l’ami de Naïm Kattan pendant une quarantaine d’années. Il l’a d’abord connu au Conseil des arts du Canada avant de devenir son conseiller littéraire.

« L’amitié était une sorte de culte pour lui. Quand on parlait de quelqu’un, il disait “c’est un ami”, même si ce n’était qu’une connaissance. Ça devait venir de ses racines moyen-orientales. D’ailleurs, “Naïm”, ça veut dire “charmant”, et “Kattan”, “petit”. C’était un petit charmant et un bourreau de travail. Il lisait beaucoup et écrivait tous les jours dans une perspective humaniste. »

Il me répétait qu’il ne pouvait s’empêcher d’écrire. Autrement, il faisait des cauchemars. Publier pour lui était capital.

Jacques Allard, au sujet de son ami de longue date

L’impressionnait la capacité qu’avait son ami pour traverser « l’espace-temps » des différentes cultures et des langues dans une « ouverture totale » à l’autre.

« Il avait commencé à apprendre le français à Bagdad, ce qui lui a permis d’obtenir une bourse d’étude à Paris. Il y a rencontré le journaliste Jean-Marc Léger et l’historien Pierre de Grandpré, ce qui l’a amené à Montréal, où il a découvert qu’il y avait peu de place pour les écrivains juifs. »

Sa contribution à l’avancement du français a d’ailleurs été reconnue par l’Académie française. Le gouvernement de l’Hexagone l’a aussi nommé Chevalier des arts et des lettres et Chevalier de la Légion d’honneur. Ici, il a été fait Chevalier de l’Ordre du Canada et de l’Ordre national du Québec.

Homme du dialogue

Spécialiste de la littérature et de la culture juives, Chantal Ringuet l’a beaucoup lu lors de ses études avant de le rencontrer en 2014 à Paris lors d’une journée d’étude qu’elle avait organisée sur Leonard Cohen.

« C’était un grand écrivain et un homme du dialogue. En arrivant à Montréal, il suggère de créer le Cercle juif de langue française, qui a duré pendant des années et a permis des rencontres entre les cultures. Avec Naïm Kattan, c’est un monde qui s’en va au moment où les démocraties sont menacées. »

« Il a aussi joué, poursuit-elle, un rôle de diplomate hors pair quand il était directeur de l’édition au Conseil des arts du Canada à une période où les relations étaient très tendues entre francophones et anglophones. »

La poète, romancière et essayiste Nicole Brossard était également sous le choc quand elle a appris la nouvelle de la mort de Naïm Kattan. Elle l’a connu en tant que directrice de la Rencontre québécoise internationale des écrivains.

« C’était un homme honnête et généreux. Il était bienveillant, curieux et avait une grande écoute. Il a connu une vie intellectuelle et culturelle bien remplie. Il aimait la compagnie des gens de qualité et acceptait le principe d’égalité entre les personnes. C’est un homme que j’aimais beaucoup et pour qui j’avais énormément de respect, un compagnon remarquable. »

Pour sa part, le qualifiant d’homme « patient, doux et tolérant », le président de l’Académie des lettres, Émile Martel, a également écrit quelques mots au sujet du disparu.

« Je l’ai toujours tenu pour père de notre littérature, pour frère de tous les écrivaines et écrivains, gardien et promoteur des aides et appuis accordés aux éditeurs, aux auteurs, aux traducteurs dans le cadre des programmes du Conseil des arts du Canada. »

Bibliographie sélective

Le réel et le théâtral, essai, Bibliothèque québécoise (1970)

Adieu, Babylone – Mémoires d’un juif d’Irak, roman, Les Éditions La Presse (1975)

La mémoire et la promesse, essai, Hurtubise HMH (1978)

Le sable de l’île, roman, Hurtubise HMH (1981)

La fortune du passager, roman, Hurtubise HMH (1989)

Le gardien de mon frère, roman, Hurtubise HMH, (2003)

N’aie pas peur de la nuit, roman XYZ (2019)

Et d’Emmanuel Kattan, Naïm Kattan, entretiens, Boréal (2017)