Elle est peu connue, mais on dit d’elle que c’est une des plus grandes écrivaines italiennes. Elena Ferrante la considère comme une influence importante. Qui est Natalia Ginzburg et pourquoi devrait-on la lire ?

Qui est Natalia Ginzburg ?

Natalia Ginzburg est née en 1916, elle a grandi à Turin au sein d’une famille d’intellectuels de gauche. Le patronyme Ginzburg ne sonne pas très italien, c’est le nom de son premier mari, Leone Ginzburg, arrêté en 1943 et torturé à mort par la Gestapo. Née Natalia Levi, elle a connu une longue carrière d’écrivaine – une cinquantaine d’années –, mais ses livres demeurent difficiles à trouver (on trouve plusieurs titres traduits en français sur le site des Libraires). Contemporaine d’Elsa Morante et d’Alberto Moravia, Natalia Ginzburg s’inscrit dans le courant du néoréalisme italien. Écrivaine, mais aussi traductrice et éditrice, elle a entre autres travaillé avec Italo Calvino. Au début des années 80, elle s’est lancée en politique et a été élue comme députée indépendante au Parlement italien, en 1983. Le New Yorker indique aussi qu’elle a joué un petit rôle dans le film L’Évangile selon Saint Matthieu de Pasolini.

Pourquoi parle-t-on d’elle aujourd’hui ?

« Il y a un regain d’intérêt pour elle depuis le succès d’Elena Ferrante, note Francesca Caiazzo, doctorante en études françaises et auxiliaire de recherche au département des arts, langues et littératures de l’Université de Sherbrooke. Elle est très connue en Italie où elle a gagné le prix Strega, l’équivalent du Goncourt, mais ses textes ne sont pas tant étudiés que ça. À l’école, j’ai lu Lessico famigliare (Les mots de la tribu), qui est son classique. Elsa Morante est plus connue qu’elle. Il faut dire qu’il n’y avait pas beaucoup de femmes écrivaines à cette époque, et Morante a pris toute la place. »

À noter que le nom de Ginzburg figure sur la liste des 40 livres préférés écrits par des femmes d’Elena Ferrante, liste publiée récemment sur le site Bookshop.com (une plateforme américaine qui est un peu l’équivalent de leslibraires.ca ici). Dans son dernier essai, Inépuisables – Notes de (re)lecture, Vivian Gornick mentionne aussi l’importance de Natalia Ginzburg dans son parcours d’écrivaine et de lectrice.

> Consultez la liste d’Elena Ferrante (en anglais)

Comment décrire le style Ginzburg ?

« En tant que lectrice, je dirais que ce qui la distingue, c’est son langage très précis, un peu laconique, souligne Francesca Caiazzo. Elle a une plume franche, directe. Elle prête attention à la psychologie des personnages, mais de manière neutre, pas sentimentale. » En entrevue, Natalia Ginzburg a déjà expliqué que comme elle était la cadette de la famille, elle devait parler vite et aller droit au but pour ne pas se faire couper la parole par ses frères et sœurs. Cette habitude, disait-elle, aurait aussi influencé son écriture.

Francesca Caiazzo note aussi que Natalia Ginzburg semblait être une femme assez austère. « C’est du moins l’impression que me donnent les photos que j’ai vues d’elle, note-t-elle. On ne la voit jamais sourire, mais ça s’explique aussi par le contexte. Elle l’a déjà dit en entrevue, elle était une rare femme écrivaine dans un monde d’hommes. Elle disait d’ailleurs qu’elle écrivait comme un homme, c’était délibéré. »

Peut-on dire de Natalia Ginzburg qu’elle était une écrivaine féministe ?

Dans les différents articles la concernant, on souligne que lorsqu’elle était députée au Parlement italien, Natalia Ginzburg avait abordé la question des violences sexuelles. Son roman Les mots de la tribu, le plus connu, parle de la place des hommes et des femmes au sein de la famille. Peut-on dire d’elle qu’elle était une auteure féministe ? « Je ne suis pas une experte de Ginzburg, mais j’aurais tendance à dire non, répond Francesca Caiazzo. Ses personnages féminins s’inscrivaient surtout dans la lignée des femmes malheureuses comme Jeanne dans Une vie de Maupassant, ou Madame Bovary de Flaubert, deux romans qu’elle a d’ailleurs traduits. Son roman C’est ainsi que cela s’est passé, commence avec une femme qui tue son mari qui l’a trompée. Elle a écrit ça en 1947. À l’époque, c’était très puissant. Elle parlait beaucoup de la désillusion du mariage dans ses livres. Dans Les mots de la tribu, elle parle aussi de la voix extraordinaire du père dans la famille. Elle montre bien le contexte patriarcal, l’injonction du temps de parole. Elle montre les représentations binaires genrées au sein de la famille. Elle n’était pas féministe, mais elle parlait de l’expérience féminine. »

En quoi peut-on voir son influence dans les romans d’Elena Ferrante ?

On compare souvent les textes de l’auteure de la tétralogie napolitaine L’amie prodigieuse, Elena Ferrante, à ceux de Natalia Ginzburg qui l’a visiblement influencée. Dans ces deux univers littéraires, on décrit des conditions de vie difficiles dans des mondes violents et machistes. « Il y a une ressemblance dans le traitement psychologique des personnages, observe Francesca Caiazzo. Les personnages féminins en détresse ne sont pas stéréotypés. Je dirais que Ferrante se situe quelque part entre Ginzburg et Morante. »

Par quels titres devrait-on commencer pour s’initier à l’œuvre de Natalia Ginzburg ?

Francesca Caiazzo, qui l’a lue en italien, la chanceuse, nous suggère de commencer par le classique de Ginzburg, Les mots de la tribu. Elle nous recommande aussi chaudement C’est ainsi que cela s’est passé. « Il est peut-être moins connu, mais c’est un texte frappant, dit-elle. Il est court et se lit d’une traite. Et on ne perd rien si on ne connaît pas le contexte italien. »

> Consultez la liste des livres de Natalia Ginzburg