Intimiste, profond, touchant. Le premier roman d’Anne Cathrine Bomann, une psychologue danoise de 35 ans, nous arrive sur la pointe des pieds, sans tambour ni trompette. Une histoire toute simple, celle d’un psychanalyste en fin de carrière qui retrouve la passion de son travail au contact d’Agathe, une jeune femme fragile qui le pousse hors de sa zone de confort.

Comme l’écrivain et psychothérapeute Irvin D. Yalom, Bomann utilise son expérience de thérapeute comme matériau pour parler de la condition humaine. Par petites touches, tout en douceur, l’auteure nous propose une réflexion fine sur l’importance de trouver un sens à sa vie. Nous l’avons jointe au téléphone chez elle, à Copenhague.

Vous êtes une psychologue danoise de 35 ans. Comment avez-vous imaginé votre personnage principal, un psychanalyste français vieillissant qui pratique dans les années 40 ?

Quand j’ai commencé à écrire, je savais seulement que je voulais écrire à propos de quelque chose d’existentiel. Ça avait du sens que ce soit un homme âgé parce que ça me permettait de parler de l’anxiété liée à la mort qui approche, et à cette impression qu’on peut ressentir d’avoir gaspillé sa vie. Je voulais aborder tous ces thèmes. Comme mon personnage devait avoir un emploi, il est devenu thérapeute. J’imagine que c’était facile pour moi [rires].

Qu’avez-vous en commun avec ce psychanalyste à la veille de prendre sa retraite ?

Ses questionnements sont les miens : comment aider les gens qui souffrent quand ils ont de la peine ? Comment réconcilier le fait d’installer une relation intime avec quelqu’un afin qu’il puisse raconter ce qu’il ressent, pour ensuite lui demander de l’argent ? Et comment aider les gens quand on ne les voit qu’une heure par semaine et que, ensuite, ils partent vivre leur vie ? Ce sont toutes des réflexions à partir desquelles j’ai construit mon personnage.

Ce psychanalyste s’avoue à lui-même qu’il préfère certains patients à d’autres. Est-ce un tabou chez les thérapeutes ?

Oui, je pense que, d’une certaine façon, c’est un tabou. Comme thérapeute, j’essaie de trouver pour chaque personne qui franchit le pas de ma porte quelque chose que je peux comprendre ou avec quoi je peux sympathiser. Mais ce serait mentir que de dire que j’aime toutes les séances de manière égale. Parfois, il y a des gens qui sont ennuyants ou irritants. Je ne crois pas que c’est quelque chose qu’on est censé dire, mais c’est la vérité.

Y a-t-il une part de créativité dans le travail du thérapeute ?

Quand j’ai commencé à pratiquer, j’étais très « by the book », j’avais peur de me tromper. Mais quand on devient meilleur, on peut commencer à improviser. Parfois, je me surprends moi-même par les devoirs que je donne à mes patients, ou par les associations que je fais. La même chose se produit dans le processus créatif : des fois, je ne sais pas ce qui va arriver et, soudain, quelque chose surgit. Alors je dirais qu’un bon thérapeute, c’est comme un bon écrivain : quand tu es vraiment impliqué et absorbé par ce que tu fais, il peut se produire des choses que tu n’avais pas planifiées ou anticipées. Le travail de thérapeute peut être très créatif quand on accepte de lâcher prise.

Parlez-nous du personnage d’Agathe.

Agathe a un rôle moteur dans la vie du médecin. Elle le réveille. Elle a plusieurs dimensions. Elle est intéressante à mes yeux parce qu’elle est à la fois forte et fragile. Mais même si elle a beaucoup de pouvoir et d’énergie, elle souffre vraiment. Elle est peut-être bipolaire, je ne sais pas. Mais c’est la première patiente qui regarde le médecin et qui lui pose des questions, qui lui demande : « Comment allez-vous, vous ? » Et : « Comment pouvez-vous faire ce travail quand vous ne pouvez même pas vous aider vous-même ? » Elle le provoque et j’aime ça.

Votre roman a été traduit en 20 langues et connaît beaucoup de succès. Selon vous, qu’est-ce qui a touché tous ces gens ?

Bien sûr, j’ai essayé de travailler sur le ton et le style, et j’espère que c’est une des raisons qui font que mon livre remporte du succès. Mais je l’explique aussi par le fait que j’ai abordé des thèmes universels dans lesquels plusieurs personnes se reconnaissent : le sentiment de solitude, l’anxiété, la perte de sens, le pouvoir de guérison des relations… Toutes ces choses dépassent les frontières.

J’ai choisi des petites scènes du quotidien et j’ai essayé de trouver la beauté là-dedans. Il ne se passe rien, que des petits changements. J’avais peur que ce soit ennuyant et que tout le monde déteste ça ou tombe endormi parce qu’il ne se passe pas grand-chose [rires]. Mais je voulais montrer qu’il n’existe pas une telle chose qu’une petite vie. Chaque vie paraît grande et importante aux yeux de la personne qui la vit.

IMAGE FOURNIE PAR LA PEUPLADE

Agathe, d’Anne Cathrine Bomann

Agathe
Anne Cathrine Bomann
Traduit du danois par Inès Jorgensen (La Peuplade)
176 pages
Sortie : 27 août