Charlotte Saliou menait une carrière de chanteuse d'opérette lorsqu'elle a décidé de ranger ses paillettes pour entrer dans une école de clowns à Paris, en 2001, et créer des spectacles de rue en passant le chapeau. Cette femme étonnante, à la longue chevelure dorée, a construit un personnage clownesque moderne, sans petite voiture ni klaxon ni nez rouge. Après son passage houleux à Québec, la voici à Montréal toute la semaine.

C'est pendant ses études à l'école de clowns Le Samovar, au sud de Paris, que Charlotte Saliou a créé son personnage de Jackie Star, ex-hôtesse de l'armée de l'air flamboyante qui subit peu à peu les séquelles d'un écrasement d'avion, dont elle est la seule survivante.

Voilà la prémisse de départ de cette histoire assez vraisemblable, où la belle est affectée depuis son accident à des tâches «au sol» et à la présentation de conférences sur l'élégance et la beauté. C'est aussi la matière dramatique de l'artiste, qui fera sombrer son personnage dans la folie.

«Je cherchais à créer un personnage que je pouvais à la fois construire et déconstruire, nous raconte Charlotte Saliou à quelques jours de la première montréalaise de son spectacle solo. J'ai pensé à une femme dans un costume étriqué, qui finit par exploser. D'où son uniforme d'hôtesse de l'air, parce que ces femmes-là font rêver. Elles sont belles, parlent plusieurs langues, bien qu'au fond, elles ne sont que des serveuses dans les airs...»

Mais dès son entrée sur scène, Jackie Star montre des signes de vulnérabilité. «Dès le départ, on sent que ça ne va pas très fort, qu'il y a chez elle une faille énorme. Un peu à l'image du clown, qui, dès son arrivée sur scène, est porteur d'un drame. On sait que ça va mal finir pour lui.»

C'est ainsi qu'elle explore les deux faces, tragique et comique, du clown. «Les humoristes font de la critique sociale, dit-elle. Ils se moquent de la société, alors que le clown entre sur scène tout content et c'est le public qui se moque de lui. Parce qu'il est gauche, maladroit ou alors idiot. C'est donc une mise en abîme parce qu'il faut apprendre à se moquer de soi-même.»

Controverse à Québec

Présenté la semaine dernière à Québec, son spectacle, qui tourne en Europe depuis six ans, a causé une mini-tempête. Durant le premier tiers de ce solo, Jackie Star donne sa conférence sur l'élégance et la beauté en anglais. Dès le premier soir, des spectateurs lui ont crié : «Parle français !» «Mon personnage, au départ, il est fragile, je ne pouvais pas répondre brusquement sans brûler mon numéro, raconte-t-elle, donc j'ai continué... Mais je ne m'attendais pas à ça.»

Dans les coulisses, Michel Barrette, qui assistait au spectacle, l'a renseignée sur notre «sensibilité» face aux artistes de langue anglaise. Mais la portion anglophone de son spectacle demeure capitale. Elle ne pouvait pas la supprimer ou la modifier.

«Les langues appellent un état émotionnel, explique-t-elle. Moi, l'anglais, ça m'amène le pétillant, la joie, la légèreté, la féminité. Et puis, c'est un clin d'oeil aux Anglaises, à leur façon de parler. Jackie Star donne sa conférence sur l'élégance et la beauté en anglais parce qu'elle est censée être polyglotte. Et elle le fait jusqu'à ce qu'elle se mette à picoler et à dériver. À partir de ce moment, elle passe au français.»

Cela dit, Charlotte Saliou a trouvé le moyen de désamorcer la chose en simulant, dès le début du spectacle, une conversation entre elle et son directeur où elle lui dit : «Quoi, vous voulez que je joue une Anglaise à Québec, mais je vais me prendre des jets de pierre !» Maligne, l'artiste.

Mise à nu

Sur scène, Jackie Star se met donc à nu. Au fur à mesure que progresse le spectacle, son état se dégrade jusqu'à ce qu'elle parte à la dérive. «Le miroir se brise et l'être humain apparaît derrière, précise Charlotte Saliou. Pour moi, le clown, c'est l'écho de l'humain. C'est l'art de montrer tout ce qu'on est et qui ne peut pas toujours être dit dans la réalité. C'est aussi sortir des codes sociaux. Et parfois, ce n'est pas joli...»

Pendant toute la durée de notre entretien, Charlotte Saliou revient toujours au métier de clown. Avec beaucoup de passion et d'humanité. Mais les modèles de clowns féminins ne sont pas légion. Qui donc l'a inspirée dans ce parcours singulier ?

«Ma mère m'a beaucoup marquée, répond-elle sans hésiter. C'est une femme drôle et excentrique, qui pouvait faire des scandales épouvantables dans la rue, foutre le bordel dans un restaurant, etc. Sinon, mes modèles sont des clowns français actuels. Je pense au trio de clowns Les Chiche Capon ou à Ludor Citrik, qui sont très émouvants et qui montrent la connerie humaine pure !»

À la toute fin du spectacle de Jackie Star, la chanteuse d'art lyrique qu'est toujours Charlotte Saliou entonne La fille du régiment de Donizetti, avec un message d'espoir pour cette Jackie Star, invitée à poursuivre son combat, avec courage. Et à incarner, pour vrai, l'élégance et la beauté.



Jackie Star, au Studio-Théâtre de la Place des Arts du 19 au 22 juillet, à 19h.