«Rome et moi nous ne connaissons la littérature française que par l'édition de Bruxelles.» Cette phrase d'une lettre de Stendhal à Sainte-Beuve aurait pu être écrite de Montréal. Au XIXe siècle, une anomalie législative a fait en sorte que la Belgique a été la principale source des livres français vendus au Québec. Ce moment de l'histoire de l'édition fait l'objet d'une exposition à la Grande Bibliothèque jusqu'au 28 novembre.

«Nous avions dans notre collection des copies du XIXe siècle du même livre», explique Christine Bouchard, directrice de la programmation culturelle à Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ). «La copie française, qui était luxueuse. Et la copie belge, qui était beaucoup plus modeste mais coûtait moins cher. La Belgique a joué un grand rôle dans la diffusion de la littérature française au Québec.»

Le projet a été soumis à BAnQ par un bibliothécaire belge, Jacques Hellemans, de l'Université libre de Bruxelles. Il y a trois ans, il a été boursier du programme pour chercheurs étrangers de BAnQ. Sa recherche a attiré l'attention de la direction de la programmation, qui a chargé M. Hellemans de monter l'exposition.

En Belgique, à partir de 1814, le droit de propriété ne protège que les auteurs et éditeurs qui habitent le pays. Profitant des changements législatifs ayant accompagné la chute de Napoléon et séparé la Belgique de la France, le nombre d'éditeurs bondit: de 20 à 53 entre 1815 et 1838, jusqu'à un sommet de 142 imprimeries en 1846. Le coût des éditions belges était inférieur de moitié à l'original français. À partir de 1820, le pouvoir royal de Guillaume 1er encourage même l'exportation des éditions pirates, avec des primes aux libraires exportateurs.

Il faut dire qu'à l'époque, la contrefaçon, alors qualifiée pudiquement de «réimpression», est généralisée: les éditeurs profitent de l'essor du commerce international et, en même temps, de la lenteur des communications pour éditer à New York des livres européens, à Paris des livres italiens ou allemands.

Cet âge d'or de la contrefaçon connaît une fin abrupte au milieu du siècle. Les éditeurs belges cassent les prix pour se concurrencer et les éditeurs français se mettent de la partie avec des éditions de poche. En 1852, un accord franco-belge uniformisant la protection des droits d'auteur sonne le glas du phénomène.

La délégation Wallonie-Bruxelle présente La contrefaçon au XIXe siècle vendredi, 10h45, au Carrefour Desjardins.