Aussi bien vous le dire tout de suite, j’ai beaucoup aimé la lecture de Famille royale, un récit autobiographique dans lequel Stéphane Rousseau se raconte avec une franchise déroutante. Pas une seconde je me suis ennuyé, laissant mes émotions alterner entre le rire et l’attendrissement.

Pendant longtemps, le populaire humoriste a gardé pour lui ses souvenirs d’enfance et d’adolescence. Puis, un jour, il a commencé à les raconter à des amis, dont le cinéaste Denys Arcand. Ce dernier lui a conseillé de ne pas les semer à tout vent et d’en faire un livre. « C’était pendant le tournage des Invasions barbares. Je lui ai raconté des bouts de mon histoire. Il m’a dit : “Arrête ça. Je pourrais m’en inspirer sans le vouloir. Il faut que tu écrives cette histoire, sinon tu vas la dilapider.” C’est ce que j’ai fait. »

Ses amis Louis Morissette et France Beaudoin (qui signe la préface) l’ont aussi encouragé à raconter les moments qui ont marqué sa vie. Stéphane Rousseau s’est lancé à corps perdu dans ce fastidieux exercice qu’est l’écriture d’un livre. Pour l’aider, il s’est tourné vers l’autrice et chroniqueuse Rose-Aimée Automne T. Morin. « J’ai d’abord tenté de faire une biographie classique, mais je me suis rapidement aperçu que ça ne marchait pas. » Le livre a alors pris la forme de fragments glanés ici et là dans son parcours long de 56 ans.

Le titre Famille royale annonce les couleurs du livre et celles-ci se tiennent loin de la prétention. Chez les Rousseau, il n’y avait absolument rien de royal.

Durant une bonne partie de son enfance, le jeune Stéphane a vécu avec une mère malade qui s’est éteinte alors qu’il avait 12 ans. Le départ de Berthe a causé un grand vide dans la vie de l’adolescent.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Stéphane Rousseau fera son lancement de livre au Snowbird Tiki Bar cette semaine.

Le père, Gilles, un personnage haut en couleur, en a fait vivre des vertes et des pas mûres à son fils. Même si une grande admiration mutuelle unissait les deux hommes, le père a parfois laissé la chair prendre le dessus, n’hésitant pas à draguer les copines de fiston. « C’est sûr que lorsqu’il me décevait, je recevais cela comme des coups de poignard dans le ventre. Mais je pense qu’au fond de moi, il y avait cette capacité de me faire croire qu’il ne s’était rien passé. Je me mentais à moi-même. J’ai longtemps eu de la difficulté à accepter certains gestes de mon père. Mais en même temps, j’ai tellement eu d’amour pour lui. »

Et puis, il y a la sœur de Stéphane Rousseau, Louise, aujourd’hui disparue. Leur relation n’a pas été rose. Sentant que le père n’en avait que pour son fils, Louise a fait rejaillir sa frustration sur son frère. « Avec ma sœur, c’est clair qu’il y avait un frette entre elle et mon père. Tu sais, on a tous une histoire avec notre famille. Il y a parfois des liens qui ne sont pas sains. »

« J’ai pesé chaque mot »

Stéphane Rousseau a fait le pari de livrer ces instantanés empruntés à sa vie en tentant de se rapprocher le plus près de la vérité, même si cela peut parfois ressembler à de la provocation. Les détails entourant la maladie de sa mère qui avait subi une colostomie sont à la fois dérangeants et empreints d’une grande humanité. « J’aime captiver l’auditoire, sur scène comme dans la vie. Je voulais que le livre soit punché, mais je ne voulais pas déformer la réalité. J’étais prêt à aller loin. J’ai toutefois eu peur de faire de la peine aux gens qui sont encore en vie, des amis de mon père ou son ex. J’ai peaufiné mes histoires et j’ai pesé chaque mot. »

Au fil des pages, on va de surprise en surprise. Rousseau veut visiblement s’amuser avec les lecteurs. « J’ai aimé donner l’impression qu’on se dirigeait vers la légèreté et que finalement ce n’était pas ça. La vie est comme ça. Et chez nous, il y avait beaucoup d’autodérision. »

Les Rousseau ont longtemps fréquenté un camping nudiste. Cela explique en partie le fait que Stéphane ait découvert très jeune les plaisirs de la sexualité. À 13 ans, il a eu sa première relation sexuelle sur le terrain de baseball du camping. Alors que l’adolescence fait de lui un jeune homme plutôt attrayant, il voudra toutefois accompagner ses conquêtes d’un romantisme certain.

Ses débuts dans le monde du spectacle font partie des très bons moments du livre. C’est grâce à l’inénarrable Roméo Pérusse qu’il fait ses débuts comme humoriste dans les bars alors qu’il est en 1re secondaire. Avec ce maître de la blague condensée, il apprend l’art de mettre un public dans sa poche, peu importe les conditions.

Il est étonnant de voir que Stéphane Rousseau, malgré plusieurs expériences sordides, n’a jamais emprunté le chemin de la délinquance. Roméo Pérusse avait mis au point un concours de talents amateurs complètement arrangé avec le gars des vues qu’il présentait dans des bars du Québec. Stéphane Rousseau fut complice de cette arnaque. Mais cet univers glauque n’a finalement eu aucun impact sur le jeune homme.

C’est mon côté chieux qui m’a sauvé. J’étais peureux. J’avais un sixième sens pour le danger. Et comme je n’ai jamais aimé la bisbille, je me suis éloigné de ce milieu. Je n’aimais pas quand mes chums faisaient un mauvais coup, je n’aimais pas la dope.

Stéphane Rousseau

« Mon fils est exactement comme moi. Rapidement je me suis imposé une hygiène de vie. À une certaine époque, je ne buvais pas de bière trois jours avant un spectacle pour avoir l’esprit vif. »

Au risque de me répéter, Stéphane Rousseau pousse fort sur le bouchon. Certains détails pourraient heurter les lecteurs chastes. Mais c’est grâce à cet excès qui joue sur tous les pôles qu’un équilibre se fait et que l’émotion vient. Difficile de ne pas avoir les yeux embués quand il raconte la fois où son père (qui a aussi subi une colostomie) a baissé son pantalon dans la cuisine et a dit en pleurant à chaudes larmes : « Ils m’ont cousu les fesses ! »

Une autre scène m’a particulièrement touché. Elle se déroule un soir de Noël alors que son fils est à Ottawa et qu’il se trouve dans la famille de sa mère avec laquelle Stéphane Rousseau ne vit plus. Sans rien dévoiler, je vous dis seulement que Stéphane Rousseau a loué un splendide costume de père Noël et qu’il a emprunté la 417.

Ce fils, qui a maintenant 13 ans, n’avait pas encore lu le livre de son père au moment de notre entretien. « Il va découvrir des choses sur moi, c’est sûr. Mais en même temps, il sait très bien que je ne suis pas un papa ordinaire. »

Il arrive fréquemment que des auteurs, qui se prêtent à un exercice d’autofiction ou d’autobiographie, aient le sentiment de confier quelque chose au public qui ne fera plus partie d’eux. Qu’en est-il pour celui qui a déjà eu envie de déménager après avoir laissé une équipe de télévision prendre des images de sa maison ?

« Je t’avoue que j’ai un certain vertige face à cette sortie. Mais en même temps, je suis très fier du livre que j’ai fait. Je pourrais t’en parler davantage dans quelques mois, mais en ce moment je me dis que ce livre va peut-être m’aider à régler certaines choses. Ce qui est sûr, c’est que j’avais besoin de le faire et je l’ai fait. Je vais assumer les conséquences. »

264 pagesFamille royale

264 pagesFamille royale

KO Éditions

264 pages
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