Je trouve que la radio est un média qui vieillit bien. Elle avance dans le temps sans trop de mal, bravant les tempêtes, affrontant les dangers avec une certaine désinvolture.

Combien de fois a-t-on prédit sa mort ? Précieuse source de divertissement pour les familles québécoises pendant trois décennies, les planches de son cercueil ont été clouées mille fois lorsque la télévision a fait son apparition chez nous, en 1952.

Qu’est-ce que la radio a fait ? Elle a dansé la claquette sur la tombe qu’on lui destinait.

Cent ans très exactement après son apparition à Montréal, grâce à CKAC, alors propriété de La Presse, la radio doit, elle aussi, composer avec la transformation extrême du paysage médiatique à laquelle nous assistons. Mais ce maelstrom, de même que la multiplication des ondes hertziennes des dernières décennies, n’y peut rien : nous sommes toujours aussi nombreux à demeurer fidèles à ce média, et il continue de l’être avec nous.

Si les journaux sont appelés à se redéfinir sérieusement pour mieux naviguer dans la sphère numérique et que la télévision est déchirée entre le contenu diffusé à heures fixes et celui qui est distribué à la carte, la radio continue de s’offrir simplement aux auditeurs, touchant leur cœur, stimulant leurs neurones, peu importe leur âge ou leur rang social.

Au cours des dernières années, j’ai publié quelques ouvrages biographiques. J’ai dû consulter des tonnes de documents d’archives, notamment sonores. Il est frappant de voir que la manière de faire de la radio dans les années 1960, 1970 ou 1980 comporte peu de différences avec celle d’aujourd’hui.

Hormis le ton pointu qu’aimaient adopter les animateurs et animatrices de la radio publique, peu de choses ont changé. La radio, c’est la parole. On peut trouver de nouvelles façons de porter la parole, mais on ne peut réinventer les mots, leur force et leur émotion.

Ce qui a changé aujourd’hui, c’est la personnalité des voix, c’est le rythme des émissions, c’est aussi parfois le manque de retenue et de filtre de ceux qui s’expriment. Mais pour le reste, la radio reste le tailleur Chanel du monde des médias.

La radio avance dans le temps et conserve des habitudes bien ancrées. Les concepts des matinales ou des retours à la maison n’évoluent guère. En commençant leur journée, les auditeurs veulent savoir ce qui se passe dans leur milieu, ils se demandent s’ils doivent apporter leur parapluie et s’ils vont être pris pendant 25 minutes sur l’autoroute Décarie.

D’autres auditeurs veulent qu’on leur change les idées et qu’on les fasse rire. Enfin, il y a ceux qui ont envie d’une présence réconfortante, de bonne musique et de matière consistante pour nourrir leur cerveau.

Il y a tout de même un truc qui a mal vieilli à la radio, et ce sont les publicités. Si certaines campagnes (émanant d’agences professionnelles) font parfois preuve d’originalité, un bon nombre donne l’impression d’être encore à l’époque de CJMS. Pauvres rédacteurs qui doivent se taper la vente de l’étiquette rouge, jaune ou bleue huit fois par année.

Tout comme la télé, la radio n’échappe pas au phénomène de « l’écoute en liberté ». C’est comme cela qu’est né le phénomène des balados, un terme largement galvaudé, utilisé à trop de sauces. Ce concept, qui offre le pire et le meilleur, va des documentaires ou des séries superbement réalisés à des talk-shows animés par des humoristes où la vacuité et l’humour facile abondent.

Aujourd’hui, tout est balado. Une émission préalablement diffusée en direct et archivée sur un site devient un balado. Il faudrait arrêter de s’énerver avec ça. Un balado n’est rien d’autre qu’un moment de radio que l’on peut écouter à sa guise.

Même si je suis devenu un adepte de cette écoute flexible, rien ne surpasse l’incomparable joie du direct. D’ailleurs, j’ai cessé de demander aux animateurs que je rencontre si leur émission est préenregistrée, car lorsque j’apprends qu’elle l’est, mon plaisir se ramollit.

Mais le top du top demeure une émission de radio en direct et devant public. Je ne comprends d’ailleurs pas pourquoi il n’y a pas davantage d’émissions qui sont présentées de la sorte.

J’ai passé de bons moments avec certaines voix au cours de l’été (salutations à Maxime Coutié et son équipe — mention spéciale à Sarah Murphy qui réussit à rendre la circulation et la météo palpitantes – et à Isabelle Craig d’ICI Première, de même qu’à Marie-Claude Lavallée et Philippe Cantin du 98,5 FM).

Mais comme la radio est aussi un rituel, je vais me glisser dans l’automne qui s’avance tranquillement en retrouvant les voix et les intonations que j’aime entendre. Comme cette saison est marquée par la nouveauté, je vais en découvrir de nouvelles. Je succomberai à certaines, je divorcerai rapidement de quelques autres.

Dans ma cuisine ou mon auto, je répondrai à voix haute à certains animateurs, je corrigerai mentalement les fautes de français de quelques autres. Je noterai une suggestion de livre ou de disque d’un chroniqueur, je casserai du sucre sur le dos d’un autre dans un souper avec des amis.

J’ouvrirai la radio quand j’aurai besoin d’une présence, je la fermerai quand ça sera le chaos et que je sentirai qu’on m’a exclu du groupe. Je serai impitoyable avec une nouvelle émission avant de me dire qu’il faudrait bien que je lui laisse une seconde chance.

Et puis, arrivera ce moment de grâce où un animateur ou une animatrice soumettra une question juste et pertinente à un invité qui lui répondra par une réponse également juste et pertinente. Je me dirai que cette rencontre devait se produire. Et que ce dialogue, comme tous les dialogues sensés, est la moelle de la radio.

Pourquoi changer ça ? Pourquoi voudrait-on détruire ce qui fait de nous des êtres humains ?

Il y a tant de choses dans la vie qui tentent de nous faire croire le contraire.