Je ne sais trop si être dans une salle de cinéma pleine pour la première fois en deux ans était la cause. Ou parce que j’avais attendu si longtemps que le rêve se matérialise enfin devant mes yeux. Mais j’étais émue avant même que commence le générique de Dune, de Denis Villeneuve, que je suis allée voir au cinéma Impérial.

J’ai souvent lu Dune de Frank Herbert. Dès que je tombe sur les premières phrases, lorsque Paul Atréides subit l’épreuve du Gom Jabbar de la Révérende Mère du Bene Gesserit, j’ai de la difficulté à ne pas continuer et je repars pour un nouveau tour dans cet univers qui m’a initiée à la science-fiction il y a longtemps. Sans Dune, je n’aurais peut-être jamais ouvert un livre de SF. Et quand je parle avec passion du Bene Gesserit, du Kwisatz Haderach et du Djihad butlérien à des gens qui n’en ont rien à foutre, je comprends mieux les adeptes de Star Trek quand ils se sentent incompris.

J’ai tellement aimé le cycle de Dune de Frank Herbert, qui contient six romans – L’Empereur-Dieu de Dune étant mon préféré –, que j’ai vu une dizaine de fois le film de David Lynch même si je sais qu’il est raté.

Quand j’ai appris que Denis Villeneuve allait s’attaquer à Dune, je ne me possédais plus. Au diable la suite de Blade Runner ! Le cinéaste tombait maintenant dans mon fantasme inassouvi de voir une adaptation à la hauteur de mes plus folles espérances.

Comme des millions d’autres lecteurs, Dune étant l’un des romans de SF les plus lus de l’histoire du genre, j’appartiens à la frange fanatique du grand public, celle que redoutent les cinéastes qui osent toucher à des œuvres devenues des bibles. Les impossible-à-satisfaire.

Mon verdict ? Denis Villeneuve a surpassé mes attentes, et est devenu mon nouveau Messie du cinéma de science-fiction avec ce film-là. J’invite ceux qui ont envie de lire un texte distant et neutre à passer leur chemin, parce que j’ai perdu mon esprit critique au vestiaire en sortant de Dune.

L’écran de l’Impérial, une salle que j’adore, où j’ai découvert les Aliens et Terminator 2 de James Cameron avec la technologie THX des années 1980, n’était pas assez grand pour la vision hors de ce monde de Villeneuve. Il faut voir ce film sur écran IMAX, on ne peut pas regarder ça sur une tablette, ni même dans son salon. Je risque d’y aller plusieurs fois, ne serait-ce que pour contribuer à ce que la suite de ce film en deux parties se fasse – ce serait un scandale qu’elle ne soit pas produite. Parce que même si j’ai été éblouie pendant deux heures et demie devant ce grandiose déploiement par Villeneuve d’un univers que j’avais fait mien, j’ai senti que le cinéaste avait mis la table avec respect, en se retenant de ne pas gaspiller la force de l’œuvre par des effets spéciaux abusifs. Je suis sortie du cinéma en me disant qu’on n’a encore rien vu. Même les vers géants du désert sont dévoilés avec pudeur et conservent leurs mystères. Je devrai attendre pour voir Paul Muad’Dib chevaucher Shai-Hulud...

On sent que Denis Villeneuve a mis tout son cœur dans ce film, lui que je trouve parfois trop froid dans ses réalisations. Ça m’a rappelé l’amour que Peter Jackson a injecté dans son adaptation du Seigneur des anneaux, la trilogie romanesque de Tolkien qui ne m’avait jamais intéressée, mais que je suis allée lire en toute vitesse après le premier film. Je pense que les cinéphiles qui accrocheront au Dune de Villeneuve sans avoir lu auparavant le roman feront la même chose, en attendant la deuxième partie, ce qui ne fera que décupler leurs attentes à eux aussi.

Le travail de concision du scénario relève de l’exploit, car il n’est pas nécessaire d’avoir lu le livre pour comprendre, ce que je croyais impossible. Tout est dans l’image, aucune explication de geek ne plombe le récit cinématographique.

Alors que le livre nous plonge sans cesse dans les pensées des personnages, Villeneuve se contente de nous faire ressentir comment ils sont happés par les évènements, en rejoignant l’émotion brute que les lecteurs ont ressentie devant cette histoire tragique. Car Dune est une histoire terriblement tragique, celle d’un jeune homme, Paul, qui doit embrasser un destin terrifiant qui se dévoile dans son esprit à mesure que l’épice gériatrique agit sur lui. Cette substance qu’on ne trouve que sur la planète Arrakis, aussi connue sous le nom de Dune, objet de toutes les convoitises, qui permet les voyages dans l’espace, mais qui transforme aussi ceux qui l’ingèrent.

En ce sens, le film repose sur les épaules de Paul (Timothée Chalamet) et de sa mère Jessica (Rebecca Ferguson), le duo absolu de la vision de Villeneuve. J’ai l’impression que la lourdeur incommensurable qui se dépose en Paul à mesure qu’il comprend ce qu’il est et ce qui l’attend saura rejoindre une jeune génération qui se sent écrasée par la tâche et les responsabilités dont elle hérite malgré elle pour l’avenir de la planète. Villeneuve, comme Frank Herbert, a un message écologique à passer encore plus fort qu’en 1965, lorsque Dune a été publié. Dans la nouvelle édition du roman chez Robert Laffont, le cinéaste signe une préface où l’on peut lire : « À l’évidence, nous avons perdu notre rapport sacré au monde. C’est une des raisons pour lesquelles je crois que Dune est complètement actuel. Si la phrase “le XXIsiècle sera mystique ou ne sera pas” attribuée à André Malraux est bien de lui, j’ose imaginer qu’il entrevoyait la potentielle désacralisation du monde naturel par l’exacerbation hypnotique d’un capitalisme sauvage. »

Il y a des moments dans une vie de cinéphile adepte des mondes imaginaires qu’on n’oublie jamais. Quand tu vois « aux vues » Star Wars, E. T., Le seigneur des anneaux ou 2001 L’odyssée de l’espace, par exemple. Des films qui donnent tout leur sens au septième art et qui nous sortent de chez nous et de nous-mêmes. Auxquels s’ajoute dorénavant Dune de Denis Villeneuve, en ce qui me concerne.

Le fait qu’il soit réalisé par un Québécois n’est pas pour me déplaire, et empire mon exultation. En tout cas, je pourrai dire un jour que j’étais là quand Dune est arrivé, et que je l’ai vu au cinéma. Plus qu’une fois.