Tous les aspects du travail et de l'absence de travail sont évoqués par la centaine d'artistes invités à présenter leurs oeuvres dans le cadre du 10e festival Art souterrain, à Montréal. Une déclinaison artistique qui permet de découvrir des créations fascinantes sur la réalité du travail dans le monde.

Cette année, nous avons parcouru Art souterrain en partant du 1000, De La Gauchetière pour retourner, deux heures et demie plus tard, au complexe Guy-Favreau. On se rend ainsi en métro au point de départ et on revient à pied, après avoir rencontré des dizaines d'oeuvres toutes reliées au thème du travail. Et sans aucune impression de redondance. 

Blanche-Neige 

Dans les aires publiques du 1000, De La Gauchetière, à côté de la très en vogue Jannick Deslauriers et ses ingénieuses sculptures de fils (une échelle et un marteau-piqueur), on a bien aimé le bureau en béton de Patrick Bérubé et la vidéo Real Snow White, tournée en 2009 par Pilvi Takala.

L'artiste finlandaise s'était déguisée en Blanche-Neige pour visiter le Disneyland français, près de Paris. Les touristes arrivant au parc se sont précipités pour la prendre en photo avec leurs enfants, mais elle a été refoulée par les gardiens du parc d'attractions parce qu'elle aurait pu nuire à la «vraie» Blanche-Neige. Une vidéo intéressante sur les valeurs des vendeurs d'illusion. 

On retrouve Pilvi Takala en fin de parcours avec The Trainee, vidéo réalisée en 2008 à Amsterdam. L'artiste s'était fait embaucher comme stagiaire chez Deloitte, mais n'y a fait strictement rien! Ce qui a troublé ses collègues. Le passage de la vidéo où, inerte, elle monte et descend dans l'ascenseur, sous l'oeil intrigué des employés, est hilarant. 

Plus loin, place de la Cité internationale-OACI, une série de photos d'Alana Riley dérange nos méninges. 

Plusieurs personnes ont été photographiées dans leur environnement de travail et dans celui qu'elles auraient connu si leur rêve de jeunesse s'était réalisé! Intéressant concept. On réalise alors qu'il n'est pas facile de savoir si cette femme est juge ou gardienne d'enfants, si celle-ci est journaliste ou chanteuse de cabaret ou si cet homme est archiviste ou évêque.

Esclaves modernes

Au sous-sol de l'édifice Jacques-Parizeau, le photographe français Raphaël Dallaporta expose sa série Esclavage domestique. Une série qui sensibilise le visiteur à la cause des employées domestiques victimes d'abus par leurs employeurs privés. Avec des images des façades de résidences de la région parisienne où elles ont travaillé, accompagnées de précisions sur leurs mésaventures. Un esclavage moderne choquant. Et un corpus exemplaire de la part du photographe de 37 ans.

Au Palais des congrès, l'oeuvre murale Quiero trabajar, du Roumain Ciprian Homorodean, vaut le détour. Elle est constituée d'affichettes créées par l'artiste pour qu'il puisse trouver un emploi en Espagne, comme serveur, jardinier, décorateur, peintre ou homme à tout faire. Un exercice artistique qui renvoie au besoin essentiel de bien des artistes.

Dans la grande allée du Palais des congrès, il ne faut pas manquer la grande photo d'une usine d'un sous-traitant d'Apple en Chine prise par Emmanuel Laflamme. L'édifice est entouré de filets «anti-suicide» qui visent à empêcher les employés de se jeter par la fenêtre. L'usine chinoise fabriquant des iPhone a connu ces dernières années une grande vague de suicides provoquée, selon des sources, par la monotonie du travail et un salaire insuffisant.

Entre le Palais des congrès et le complexe Guy-Favreau a été exposée la série Car Poolers, de l'artiste mexicain Alejandro Cartagena. Des images d'ouvriers transportés, chaque jour, dans la caisse arrière de camionnettes, entre leur domicile et leur lieu de travail. Certains dorment, d'autres lisent le journal ou regardent le paysage. Un documentaire sur la routine et les conditions de travail.

Peu après, beau reportage de l'Italien Paolo Patrizi sur des prostituées nigérianes qui reçoivent leurs clients en plein nature dans le sud de l'Italie : sur un matelas, la paille d'un champ de blé ou un bout de carton. Des images dépouillées et lourdes de sens. 

Un peu plus loin, on s'interroge sur la démarche ironique et critique du photographe américain Hugh Kretschmer avec ses prises de vue évoquant notamment l'aliénation au travail.

On retrouve avec plaisir HYPERLand, oeuvre de Karine Giboulo sur notre planète sens dessus dessous. Et l'on s'accroupit pour distinguer les 12 000 figurines d'ouvriers de l'installation Le sens de la vie; les ouvriers, de l'artiste français Florent Lamouroux.

Enfin, la visite s'achève avec la belle série de Dulce Pinzón sur les travailleurs mexicains vivant à New York. Mal payés, surexploités, sans aucun droit syndical, ces hommes et ces femmes sont considérés comme des superhéros par l'artiste mexicaine qui réside dans la Grosse Pomme.

Elle les a magnifiés en les photographiant sur leurs lieux de travail en tenue de personnages de fiction comme Batman, Superman, Catwoman, Hulk ou encore Spiderman... Des hommes et des femmes dont le labeur est loin d'être une aventure fabuleuse. 

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10e festival Art souterrain, jusqu'au 25 mars dans le réseau souterrain piétonnier et neuf lieux satellites. Consultez le site du festival: artsouterrain.com

Photo Hugo-Sébastien Aubert, La Presse

Les photographies de Hugh Kretschmer sur l'aliénation au travail sont présentées au complexe Guy-Favreau.