Pour sa quatrième édition, la Biennale canadienne du Musée des beaux-arts du Canada a ouvert ses espaces aux oeuvres d'artistes étrangers. Enfin! a-t-on envie de dire. Cette bouffée d'oxygène élargit son propos et rend l'exposition foisonnante d'expressions. À savourer d'ici le 18 mars...

Trente artistes canadiens et vingt-deux de l'extérieur. Des peintures, des sculptures, beaucoup de photos, des dessins, des estampes, quelques vidéos et plusieurs installations, dont le fameux dépanneur de BGL. La Biennale canadienne 2017, qui déborde sur 2018, donne un bel aperçu de la diversité de la production artistique du pays, à laquelle s'ajoutent des oeuvres internationales qui trouvent une résonance chez nous.

Les quelque 110 oeuvres exposées ont toutes été acquises depuis quatre ans par les départements d'art contemporain et d'art autochtone du Musée et par l'Institut canadien de la photographie abrité en son sein. L'exposition s'ouvre avec Eaux profondes, grande sculpture en aluminium de Patrick Coutu, réalisée en 2014 en moulant in situ une paroi d'ardoise du Témiscouata. Une oeuvre au réalisme pétrographique du plus bel effet.

Dans une première salle, consacrée aux idées reçues, on découvre No Foreigners, une acrylique humoristique et aux faux airs de naïveté de Cynthia Girard-Renard. Une illustration de la rhétorique anti-immigration où des serpents sont d'habiles immigrants se glissant à travers les frontières et les papillons de furieux xénophobes.

Kent Monkman

Non loin de là, le commissaire Jonathan Shaughnessy a réservé une petite pièce à Casualties of Modernity (Victimes de la modernité), une oeuvre forte de Kent Monkman. Et un petit moment de bonheur.

L'artiste torontois a redonné vie à son alter ego, Miss Chief Eagle Testickle, toujours dévouée à lutter contre les préjugés, pour une installation qui ressemble à une chambre d'hôpital. Déguisée en infirmière sexy, la Miss veille sur un patient (une sculpture intitulée Cubisme, étendue sur un lit et respirant difficilement!) tandis qu'une télé diffuse une vidéo dans laquelle on la voit accourir au chevet de plusieurs malades victimes de la modernité, dont un Romantisme particulièrement sexy! Un regard satirique qui se poursuit sur un site web qui, lui-même, fait penser à celui d'une clinique.

Dans une deuxième salle évoquant l'individualité, la photographie occupe une grande place, avec un baiser fougueux entre deux hommes, par l'Allemand Wolfgang Tillmans, un jeune garçon caché derrière un feuillage, cliché sensuel de Collier Schorr, et la juxtaposition de centaines d'images de personnes endormies, par le Vancouvérois Steven Shearer.

Taryn Simon

Dans l'espace suivant, la peau de phoque dessinée d'un code QR par Ruben Komangapik surprend, mais pas autant que les trois photographies conceptuelles de l'Américaine Taryn Simon.

Trois séduisants bouquets cachent des enjeux internationaux: le développement par la Chine d'un concurrent au système GPS, l'importance de la fédération de syndicats Solidarność dans la Pologne des années 80, ou encore le contournement du Congrès américain par le président des États-Unis, Gerald Ford, et le controversé Henry Kissinger en 1975 pour vendre des armes à la Turquie malgré un embargo... américain! Une création faussement paisible sur les luttes de pouvoir et l'éthique en politique.

BGL

Après les photos saisissantes de la série Mégantic de Benoit Aquin et le cube coloré de plateaux de cafétéria de Brian Jungen qui cachent la diffusion du film La grande évasion, on tombe avec plaisir sur le dépanneur ludique de BGL, Canadassimo, réalisé pour la Biennale de Venise de 2015. La voilà enfin, l'installation grandeur nature du traditionnel dépanneur québécois!

PHOTO FOURNIE PAR LE MUSÉE DES BEAUX-ARTS DU CANADA

No Foreigners, 2016, Cynthia Girard-Renard, acrylique sur toile, 182,9 cm x 274,4 cm. Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa © Cynthia Girard-Renard.

Avec son plancher vieillot, ses produits de droguerie, ses packs de bière, ses denrées, sa vieille caisse enregistreuse, son armoire pour cacher les cigarettes et la batte de baseball pour parer au pire, on a plus qu'une impression de familiarité. Sauf que bien des étiquettes sont floues, pour rappeler la distance entre réalité et fiction.

Puis l'exposition nous intrigue avec les casse-tête photographiques de Jessica Eaton, de sa série cfaal; les abribus arméniens des années 70 et 80 de la photographe allemande Ursula Schulz-Dornburg, ou encore le travail documentaire NoNoseKnows de Mika Rottenberg sur la condition des Chinoises qui travaillent dans des fermes perlières. À vous dégoûter d'acheter des perles de culture... 

Kiki Smith

Il ne faut pas manquer la tenture murale Souterrain de Kiki Smith, que René Blouin avait exposée dans sa galerie, à Montréal, en 2016, et que le musée national a achetée l'an dernier.

«Les conservateurs ont été très réceptifs aux idées encapsulées dans cette pièce qui touche à plusieurs champs que Kiki fréquente depuis le début, dit René Blouin, soit le dessin, le collage, l'utilisation des textiles, en plus de tout le vocabulaire iconographique où dominent le corps humain et la faune.»

La relecture en film de marionnettes du livre Les croisades vues par les Arabes, d'Amin Maalouf, par l'Égyptien Wael Shawky, est aussi un grand moment. Trois films faisant en tout 3 heures 30, avec des marionnettes criantes de vérité réalisées par des artistes provençaux et italiens. 

Et pour terminer ce marathon d'art, quoi de mieux que de s'asseoir sur les petits poufs de la salle qui projette (pendant six heures !) la vidéo Luanda-Kinshasa, de Stan Douglas. Un film enregistré en HD en 2013 dans un local qui reproduit l'atmosphère des studios Columbia de New York dans les années 70. Avec des musiciens qui improvisent dans le genre groove afro-jazz-funk à la Miles Davis. Planant à souhait, avant de poursuivre notre visite bienfaitrice dans ce temple de l'art inauguré il y aura 30 ans cette année.

Au Musée des beaux-arts du Canada, à Ottawa, jusqu'au 18 mars

Le saviez-vous?

Le Musée des beaux-arts du Canada est en cours de rénovation partielle. Construit en 1988, le «nouveau» bâtiment du musée créé en 1880 a été dessiné par l'architecte Moshe Sadie. Il subit jusqu'à l'automne le remplacement de ses vitres et des toitures de l'entrée principale et de la colonnade, soit un total de 1427 panneaux de verre à changer!

La colonnade du musée mesure 21,75 m de haut et 87,2 m de long. Pour la concevoir, Moshe Sadie s'était inspiré de la Scala Regia, l'imposant escalier du Palais apostolique du Vatican, à Rome.

Photo fournie par la galerie Pierre-François Ouellette art contemporain

Arrêt sur image de la vidéo Casualties of Modernity (Victimes de la modernité), 2015, de Kent Monkman, présentée à la Biennale canadienne, au MBAC, à Ottawa